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Les 7 laïcités françaises

Jean Baubérot Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, coll. « interventions », 2015, 176 p., 12 €.

« À chacun sa laïcité » ? Incontestablement la laïcité française est devenue une auberge espagnole ! Avec des interprétations, des tendances, des écoles multiples qui toutes se prétendent fidèles à la loi de 1905. Dans ce contexte, le livre de Jean Baubérot n’est pas seulement un très bon livre parmi tous ceux qui paraissent sur la laïcité : c’est aussi et surtout un livre éclairant, qui inscrit dans la longue durée de l’histoire française les positions et les oppositions d’aujourd’hui. Il distingue « 7 laïcités » en France. Peu importe le nombre : le grand intérêt du livre est non seulement de désigner des courants, mais d’en rappeler la généalogie, les idées et le poids de chacun dans les débats actuels et aussi d’y ranger très concrètement des noms qui s’expriment et des controverses qui vont dans l’un ou l’autre sens. Entre les sept conceptions différentes de la laïcité distinguées par l’auteur, quatre (qu’il appelle « historiques ») sont anciennes et trois sont « nouvelles ».

Parmi les premières, il nomme d’abord la laïcité antireligieuse, qui peut prendre la forme d’une « religion civile » à la française, ou d’une religion d’État. Elle n’a pas gagné en 1905, mais sa tradition anticléricale et antichrétienne est restée vive. Michel Onfray en est un représentant typique. Ici, on mène un combat contre l’obscurantisme. Si l’on reconnaît la liberté de conscience (comme un pis-aller, avant d’être éclairé sur la « vraie » liberté de conscience…), on a des difficultés avec la liberté des cultes, donc la liberté religieuse et l’expression publique des religions. Sans surprise, l’ « ennemi n° 1 » est devenu l’islam et son « communautarisme », par exemple pour le groupe Riposte laïque. La laïcité gallicane, seconde nommée, évoque une tradition française très ancrée. On peut la résumer par l’idée que la République a le droit de fermement régenter – limiter – la place des religions dans l’espace public, conçu de manière large. C’est de ce côté qu’on parle facilement de religion comme concernant la seule « vie privée » – ce que la loi de 1905 contredit formellement dans son article 1. Parmi les combats de ce groupe, la lutte contre la visibilité des religions (les signes religieux à l’école par exemple) occupe une grande place. On ne s’étonne pas, finalement, qu’elle ait trouvé des échos favorables dans la droite la plus républicaine et la plus identitaire. La dernière laïcité historique est séparatiste : c’est celle qui a triomphé en 1905, mais qui est remise en question aujourd’hui. Elle défend la liberté de conscience aussi comme liberté de culte. Mais pour ce qui est de la séparation elle-même, elle peut en faire une défense très stricte, dans une neutralité d’indifférence ou d’abstention pour ainsi dire (laïcité séparatiste stricte), ou au contraire pratiquer une sorte de neutralité de « respect » qui connaît les religions et peut admettre des accommodements différenciés (laïcité séparatiste inclusive). Les deux options sont représentées aujourd’hui par la Libre Pensée – gardienne vigilante d’une séparation stricte – et la Ligue de l’Enseignement – novatrice et audacieuse dans les années 80 et 90 pour envisager « une laïcité pour l’an 2000 ».

Les « laïcités nouvelles » s’appellent respectivement « ouverte », « identitaire », « concordataire ». La première est la conception dominante développée, avec bien des nuances et des réserves (dont celles de Baubérot), par les religions. La seconde est fortement liée à la présence de l’islam sur le sol français : la laïcité républicaine peut alors dériver vers une laïcité anti-immigration, récupérée par la droite de la droite et surtout le Front National. La laïcité concordataire est celle du « droit local » de l’Alsace-Moselle (les départements d’Outre-mer avec un statut particulier sont dans un cas différent). Même si Jean Baubérot n’est pas favorable à cette exception concordataire, il la range aussi dans les régimes de laïcité.

Intitulée « Quelques raisons du glissement de la laïcité dominante de gauche à droite », la dernière partie du livre revient sur quelques débats très récents : autour de la « laïcité sans adjectif » revendiquée par les « vrais laïques » (ce qui ne l’a pas empêchée d’être récupérée dans un sens identitaire par Marine Le Pen), de l’accusation de « communautarisme », et à propos de l’ignorance : faute de comprendre des changements sociaux significatifs dans la société et faute de connaître le texte et le contexte de 1905, la laïcité française peut être instrumentalisée à tout-va et glisser sans peine de sa tradition républicaine de gauche (et d’une droite républicaine) à celle d’une droite identitaire, dont le fond de commerce est la dénonciation de la menace de l’étranger musulman.

Jean-Louis Schlegel
9 octobre 2015
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