Pour le meilleur comme pour le pire, l’islam participe pleinement du jeu politique et social européen. Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle génération de citoyens de culture musulmane revendiquent leur « présence comme pairs dans des lieux réservés aux citoyens “de souche” qui les ramène sous l’attention publique. Cette visibilité, bien qu’elle atteste l’intégration des immigrés, suscite un malaise, déclenche des polémiques. » C’est à l’écho de ces polémiques que l’auteure s’est attachée, quatre années durant, dans vingt-et-une villes européennes : port du voile dans les lieux publics, prière collective dans les rues, construction de mosquée, alimentation halal… Si chacune des controverses suivies a un ancrage spatial et social précis, mais aussi national (en France par exemple, laïcité et histoire longue de l’immigration), on constate au niveau européen « une même récurrence des controverses, une convergence dans la manière d’aborder, de nommer et d’encadrer la présence musulmane. » D’où le dispositif d’enquête original mis en œuvre par la sociologue, appelé « espace public expérimental », qui, dans une espèce de théâtre, permet aux parties prenantes des controverses de nouer un dialogue et d’échapper aux assignations binaires – fréquentes dans les représentations médiatiques, remarquablement étudiées par Nilüfer Göle. Émergent ainsi, avec finesse, les figures et les voix de « musulmans ordinaires » : pratiquants ou non, investis au sein de leur société et attachés à des valeurs et des pratiques d’un islam européen. Dans un espace qui n’a plus de matrice culturelle homogène, ils construisent, avec leurs concitoyens, une nouvelle culture publique. Ce métissage socio-culturel progressif, lent à éclore, est combattu par les extrémistes, djihadistes ou islamophobes, au nom d’une « impossible pureté identitaire, religieuse ou nationale ». Ce livre est une excellente réponse à leur opposer.