« L’urgence de comprendre », le titre de la nouvelle collection des éditions de L’Aube, (un gage de qualité parmi les éditeurs) prend tout son sens à la lecture de cet opus de Serge Paugam. Résumant ici une longue enquête publiée en 2014 (L’intégration inégale. Force, fragilité et rupture des liens sociaux, Puf), le sociologue dresse un portrait lumineux de l’effritement des liens sociaux en France. En quelques pages, il donne au lecteur une grille d’analyse qui rend la crise sociale plus intelligible. Héritier revendiqué de Durkheim, il propose une typologie des liens sociaux : le lien de filiation, le lien d’élection (amitiés, engagements…), le lien organique (lié au travail), le lien de citoyenneté. C’est à la jonction de ces liens, qui le fondent et le soutiennent, que l’individu peut affirmer qui il est. Or la solidité des liens est inégalement répartie. À ceux dont « l’aire d’intégration sociale » est étendue, parce que tous ces liens sont forts autour d’eux, et que l’on retrouve particulièrement dans les milieux favorisés, s’opposent les personnes marginalisées, celles et ceux qui ont le sentiment de ne plus compter pour personne. La montée du chômage et du travail précaire, l’éclatement de la cellule familiale, fragilisent l’insertion de nombreux Français. Certains compensent en surinvestissant des sphères (le quartier, la communauté…) où ils cherchent à être reconnus. On pourra regretter la portion congrue laissée dans cette lecture aux jeux de pouvoirs, à la conflictualité sociale, malgré l’ambition affichée de réconcilier Durkheim et Bourdieu. La nature exacte du lien de citoyenneté gagnerait sans doute à être précisée, en ces temps de contestation de nos appartenances collectives. Cependant, l’analyse proposée par Serge Paugam, assise sur une recherche de plusieurs années, devrait marquer durablement le champ social. Elle sera précieuse à quiconque (associations, groupes religieux, pouvoirs publics) cherche à mieux situer son rôle, à mieux articuler son action dans le reprisage ou le renforcement du lien social.