L’ouvrage de Heinz Schilling est extrêmement précieux pour situer Martin Luther dans son contexte, à la fois proche (la Saxe, la première moitié du XVI^e siècle) et plus large (l’Europe, l’ouverture des temps modernes – l’épilogue de l’ouvrage est à cet égard remarquable). L’auteur en dessine un paysage vivant, mais toujours soigneusement analysé et réfléchi. L’ouvrage donne consistance à la société de l’époque, avec ses entrepreneurs (le milieu dont Luther est issu), les cadres politiques, intellectuels et religieux au sein desquels le Réformateur se meut – tout en gardant ses distances –, et tous ceux qui aspirent à en être acteurs. Il permet aussi de suivre l’itinéraire de Luther et de se familiariser avec le personnage, en privilégiant une posture d’historien qui jamais ne met en avant une thèse à défendre : il laisse les éléments collectés donner cohérence et force au chemin tracé. Le portrait qui en ressort n’est pas sans tensions, et c’est aussi ce qui en constitue l’intérêt. On y voit un Luther à la fois politique et capable d’une belle empathie pour ses amis, heureux de goûter aux joies terrestres et aux prises avec des peurs apocalyptiques, intellectuel percutant et capable de jugements grossiers. La présentation, soucieuse d’éviter tout simplisme, n’est pas neutre pour autant : c’est clairement l’acte de résistance aux puissants d’un homme seul mais déterminé qui est mis au centre de la geste de Luther – son refus de se rétracter devant l’empereur Charles Quint lors de la diète de Worms en 1521 – et non sa découverte d’un Dieu qui aime et sauve gratuitement et qui appelle seulement la foi du croyant (l’illumination de 1516 est tout juste mentionnée). En ce sens, à cet itinéraire magnifiquement déployé manque ce qui en forme le cœur : l’expérience spirituelle d’une confiance radicale possible.