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Le décrochage industriel

Pierre-André Buigues et Élie Cohen Fayard, 2014, 440 p., 24 €

Dès l’introduction, le ton est donné : les auteurs entendent rendre compte de cette « étrange défaite » qu’est le décrochage industriel, ce qui n’est pas sans rappeler une autre capitulation, plus soudaine, au XXe siècle ! Après un passage sur la tertiarisation de l’économie, où l’on apprend que le coût moyen par personne dans les services à l’industrie est 27 % plus élevé en France qu’en Allemagne, suit une série de statistiques très pertinentes. De ces tableaux abondants retenons deux chiffres : parmi 14 pays développés d’Europe, la France est celui où le taux du secteur manufacturier dans le produit intérieur brut (Pib) est le plus faible : 12,6 % en 2010. Par rapport à cette même année 2010, l’indice de production en volume de l’industrie est à 100 pour le premier trimestre 2014, c’est dire que le pays est en stagnation depuis la crise de 2008. « Un pays qui perd toute sa compétence manufacturière finit par être entravé dans sa recherche technologique, car l’interaction industrie-recherche est décisive pour l’innovation industrielle. » La première partie du livre se conclut avec les « coupables habituels » : la France, modèle social oblige, a un coût horaire du travail dans l’industrie manufacturière d’un pays hautement industrialisé comme l’Allemagne ou la Suède alors que le pourcentage de l’industrie dans son Pib est inférieur à celui de la Grèce. Si en Suède le poids des prélèvements sociaux est presque aussi élevé qu’en France, le pays a su « monter en gamme » dans ses productions. Il bénéficie d’un système éducation/formation performant et de relations du travail coopératives. Grâce à un environnement et un financement favorables aux petites et moyennes entreprises (PME), la Suède a géré intelligemment sa transition industrielle. Une analyse sectorielle nous permet de découvrir des aspects plus cachés de l’économie française. Ainsi, l’agroalimentaire, l’un de nos points forts, est menacé : « La France produit et exporte moins de lait et de fromages que l’Allemagne. » Si le cas de l’automobile (un effondrement) et de l’aéronautique (un succès) sont connus, la saga des Télécoms mérite d’être lue. C’est un résumé percutant des effets du système colbertiste français interférant avec les règles de Bruxelles. Ce schéma a encore de longs jours devant lui. Les auteurs évoquent trois scénarios pour l’avenir. Celui d’une spécialisation « au fil de l’eau », celui d’une ré-industrialisation (où l’on améliore les conditions de production en France par une baisse des coûts), et celui, enfin, d’une économie créative dont on peut se demander s’il est réaliste dans un pays aussi rigidifié et conservateur : « Les mesures à prendre prioritairement dans cette hypothèse consistent à libéraliser et fluidifier le marché du travail, à alléger la pression fiscale exercée sur les PME, à accélérer les transferts de technologie des laboratoires aux marchés, et à mettre en place une politique publique d’accompagnement de développement des PME innovantes ». Les auteurs concluent en évoquant les réformes structurelles et publiques : choc fiscal, choc social, libéralisation du marché des biens et services, remise à niveau du système éducatif. Un long chemin, à moins d’une vraie prise de conscience collective liée à l’augmentation dramatique du chômage et de la pauvreté !

Philippe Bénard
11 mai 2015
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