À partir des souffrances psychiques contemporaines, Miguel Benasayag, psychanalyste et philosophe, poursuit dans cet essai (réalisé avec la collaboration d’Angélique Del Rey) sa réflexion sur la puissance d’agir dans les sociétés contemporaines occidentales. Il se base sur l’expérience de trente ans de clinique – dont il restitue des cas concrets et des anecdotes professionnelles édifiantes – et sa propre histoire – marquée par la dictature argentine qu’il a fui après avoir été emprisonné et torturé. On apprécie, comme toujours chez cet auteur, la limpidité et la franchise des propos, dont la prémisse est qu’au-delà de leur dimension personnelle, les souffrances psychiques sont un phénomène social et politique. Celles-ci sont devenues un terrain de lutte : on peut les médicaliser et les normaliser – le patient serait alors dans une situation de relative passivité, un « pâtir » spinoziste –, ou y voir quelque chose de vivant, de singulier, une « dynamique de fragilité » susceptible de porter un « agir ». Ainsi, pour l’auteur, à rebours de la conception dominante « modulaire » (où le « module » défaillant de l’individu est « remplacé » pour qu’il fonctionne au mieux) des thérapies cognitivo-comportementales contemporaines, la voie thérapeutique à suivre, qu’il nomme « thérapie situationnelle », ne peut reposer que sur une prise en compte des failles et aspérités d’un individu singulier, inscrit dans son époque. La complexité de la vie et des modes d’être au monde doit avoir toute sa place – ce qui suppose de faire une place à la négativité et aux conflits – afin de « voir comment, avec ce que nous sommes et ce que sont les autres, nous pouvons, dans et pour la situation, pencher du côté de la puissance et de la joie ».