Gauche : l’avenir d’une désillusion
Éric Fassin Textuel, 2014, 62 p., 8 €Le titre choisi par Éric Fassin condense son propos : il s’agit d’étudier l’avenir promis à la fin d’une illusion politique, la postérité d’un désenchantement idéologique majeur de notre époque. Détournant les mots de Sigmund Freud (L’avenir d’une illusion) dont s’était déjà emparé l’historien F. Furet (Le passé d’une illusion), il s’interroge, dans cet essai percutant, sur le futur de la gauche. Il décèle dans l’évolution social-libérale de la gauche, entre le tournant de la rigueur mitterrandien et le pacte de responsabilité de François Hollande, trois tendances mortifères : l’adhésion décomplexée à l’idéologie néo-libérale, qui met l’État au service des marchés (contrairement au « libéralisme classique » qui protégeait les marchés de l’État) ; l’illusion réaliste qui soustrait la politique, désormais prisonnière des marchés et d’évolutions économiques réputées totalement exogènes, à la prise, au choix et à la négociation collective ; la dérive droitière qui, visant à produire un consensus national derrière la « politique du nécessaire », conduit le Parti socialiste à côtoyer les thèmes de la droite, voire de l’extrême droite. En mêlant analyse historique et lecture critique de l’actualité, l’auteur livre un diagnostic sans appel : pour retrouver son élan (et son électorat), la gauche doit restructurer son idéologie, réaffirmer l’autonomie du politique contre la « politique du nécessaire » (autre nom de l’hégémonie des marchés) et se repositionner de manière critique face à la droite. Ces trois opérations convergent vers la définition d’un nouveau sujet politique : la gauche doit récuser la définition droitière du peuple (opposant la nation au xénos) et en reconstruire une définition progressiste et démocratique (à partir des causes peuplant l’espace public, des minorités agissantes, des inaudibles, des exclus…). En condamnant son électorat à la désillusion permanente, la gauche signe son suicide idéologique et politique. Avant que le glas de toute alternative à l’hégémonie néo-libérale ne sonne, elle peut (et doit) changer « le » peuple et changer « de » peuple.
9 septembre 2014