Ce grand œuvre paru en 1995 a notablement contribué à renouveler la conception du principe de territorialité en sciences politiques. Il a aussi montré tout ce que ces dernières avaient à gagner à se décentrer et à s’ouvrir aux autres sciences sociales. Il faut saluer sa réédition en poche, augmentée d’une préface originale et d’un court complément bibliographique. L’auteur souligne, avec une remarquable clarté dans le raisonnement comme dans le style, la multiplicité des formes d’organisation du politique, dépassant de loin la figure de l’État-nation occidental dont la souveraineté serait bornée par des frontières rigides. Il permet ainsi de mieux penser les relations entre la construction de l’espace et celle du politique. Au cœur de son propos : l’affaiblissement des tutelles stato-nationales (sous l’effet de la mondialisation et des pressions identitaires) qui mène à un « désordre territorial », à un « nouveau désordre mondial » difficiles à maîtriser. Une recomposition semble dès lors s’imposer, qui est déjà partiellement à l’œuvre (à travers le régionalisme par exemple ou l’importance croissante de la solidarité internationale) : il s’agirait, pour l’auteur, d’« accomplir une double réconciliation : entre le territoire des États et l’espace des réseaux transnationaux ; entre les progrès de l’universel et le respect des particularismes. » Bertrand Badie poursuit ici sa réflexion autour de notions qui lui sont chères, telles l’État et l’altérité. Comment atteindre une meilleure émancipation de l’individu en même temps que la constitution d’une société mondiale ? Il s’agit de réinvestir la dimension universaliste du vieux principe de territorialité dans « le respect de l’autre », que ce respect « devienne une valeur transnationale, à un moment où aucune institution n’a les moyens de l’imposer par la contrainte. » Cette conclusion éclaire ainsi le sous-titre et annonce son dernier livre paru (2014) : Le temps des humiliés.