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La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État

Olivier Zunz Fayard, 2012 [trad. de l’anglais par Nicolas Barreyre], 376 p., 22,90 €

Ce livre nous ouvre les pages d’une riche histoire, celle d’un phénomène indissociable de l’identité américaine. S’appuyant sur de nombreuses archives et sur une littérature abondante l’auteur (français, professeur à l’université de Virginie) restitue avec nuance et précision les controverses qui ont jalonné « l’industrialisation » de la générosité privée durant ces deux derniers siècles. Il relate les débats, parfois féroces, entre partisans et adversaires des fondations privées, véritables coffres-forts de la solidarité, objets de convoitises ou de suspicions. Il souligne le parallélisme constant entre l’évolution du secteur philanthropique et les grands chantiers de réforme sociale qui ont animé et souvent secoué la société américaine : santé publique, protection sociale, éducation, enseignement supérieur et recherche, droits civiques, fiscalité, environnement, œuvres religieuses, aide aux pays en développement, stratégies d’influence pendant la Guerre froide, think tanks et campagnes politiques… L’omniprésence de la philanthropie aux États-Unis n’est pas apparue spontanément. Elle a fortement varié au fil du temps (et évoluera certainement à l’avenir !). Elle n’est pas, non plus, à l’abri de critiques, voire d’attaques virulentes. C’est d’ailleurs l’un des mérites de cet ouvrage que de restituer la ligne de front mouvante de ces clivages, qui illustrent la vivacité de la démocratie en Amérique. À plusieurs reprises, les fondations privées ont failli disparaître du paysage, mais à chaque fois elles ont su s’adapter aux nouvelles règles de transparence et de contrôle. Elles sont aujourd’hui plus nombreuses et plus riches que jamais, suscitant toujours l’admiration comme la méfiance. Dix ans après la loi Aillagon sur le mécénat et les fondations, ce livre peut-il contribuer à la réflexion sur la naissance d’un « modèle philanthropique français » ? Malgré la différence des contextes nationaux, il met clairement en lumière la genèse d’un vigoureux secteur porteur de valeur(s) au sein d’une économie marchande, dont la finalité première n’est pas forcément la lucrativité. On entrevoit aussi la rencontre possible entre les élans de générosité populaire et la « grande philanthropie » des élites économiques et culturelles, au sein d’une aspiration commune. Certes cette unité, qui se manifeste avec éclat lors de grands drames collectifs, n’est parfois que de façade. Le spectre du divorce est toujours présent. C’est peut-être d’ailleurs ce qui motive aujourd’hui une initiative spectaculaire telle que « Giving Pledge », opération encourageant les grandes fortunes à verser une partie de leur fortune à des œuvres caritatives. En France, le sujet demeure assez tabou… L’ouvrage illustre cette interrogation permanente qu’une société démocratique doit être capable d’animer en son sein sur la répartition des rôles entre État et société civile.

Charles Sellen
30 avril 2014
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