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La Sécurité sociale. Une institution de la démocratie

Colette Bec Gallimard 2014, 366 p., 23 €

Ce livre est passionnant à plus d’un titre. Il resitue d’abord l’institution de la sécurité sociale dans l’histoire longue, plongeant ses racines dans la modernité primitive des Lumières. Il en montre ensuite les principaux tournants. Primo, passage du libéralisme (qui refoulait sur les institutions charitables le soin des laissés-pour-compte) à l’assistance publique (des enfants, des vieillards, des impotents), lorsque, à la fin du XIXe siècle, s’imposent les contradictions du libéralisme industriel. Secundo, à partir du début du XXe siècle, au détriment de l’assistance, la prééminence de la logique de l’assurance. Le travail s’impose alors comme le principal (sinon comme le seul) vecteur du lien social. Tertio, suite aux coups de butoir d’une crise qui entraîne une augmentation du chômage, délitement du droit du travail qui devient, contre toute logique sociale, l’accompagnement d’un droit individuel de plus en plus au service de l’efficacité économique. Ce qui avait réussi, durant quelques décennies, à concilier la subordination (qui définit le salarié) et la liberté, par le moyen collectif du droit social, disparaît au profit d’une logique d’assistance extérieure au monde économique. Cette analyse conduit Colette Bec, professeure de sociologie à Paris-Descartes, à critiquer une conception anhistorique de la misère, presque mystique, à la manière d’ATD-Quart Monde, une conception qui s’impose dans le monde entier en se déconnectant de la dynamique économique contemporaine. La Sécurité sociale n’est plus vue aujourd’hui que comme un coût à réduire pour ne pas hypothéquer la compétitivité économique. Voulue comme politique globale d’intégration de tous les membres de la société, articulant de multiples décisions publiques visant le plein emploi, la santé et la redistribution des revenus, la Sécurité sociale, telle qu’elle fut conçue et mise en œuvre à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, a malheureusement conservé de sa longue histoire une logique dualiste : d’un côté, un système d’assistance aux plus pauvres (classés par catégories selon une logique typiquement bureaucratique) par des organismes d’État, système qui, en outre, stigmatise les bénéficiaires ; d’un autre côté, un système d’assurances devenu progressivement obligatoire pour des catégories différenciées selon leurs multiples statuts. L’intérêt du livre de Colette Bec est de montrer les raisons de cette dérive : le statut hybride de l’institution de la Sécurité sociale qui jouit à la fois d’un monopole étatique et d’une gestion qui se veut « paritaire » ; le partage des pouvoirs entre l’État et les partenaires sociaux. Ces problèmes sont exacerbés par la concurrence entre les syndicats. Cette régression de la Sécurité sociale vers l’assistanat conduit à faire des droits sociaux un complément marginal des droits de l’homme, alors qu’ils en sont l’ossature, ce que l’enseignement social de l’Église, dans sa tradition aristotélicienne et thomiste, ne contredira pas.

Étienne Perrot
7 mai 2014
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