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La domination

Max Weber La découverte, 2014 [trad. Isabelle Kalinowski], 428 p., 29 €

À l’heure où les approches de la domination se renouvellent en sciences sociales (gender studies, post-colonial studies, théories de l’intersectionnalité), le retour aux fondateurs s’avère instructif à maints égards. En matière d’intelligence des rapports sociaux de domination, Max Weber (1864-1920) est incontestablement fondateur. Dans la deuxième partie de Wirtschaft und Gesellschaft (Économie et société) restée inconnue du lectorat français, en particulier les sections « Les communautés politiques » et « Sociologie de la domination », Max Weber défriche, dès 1911-1913, le terrain d’une sociologie des rapports de pouvoir. Entre les idéaux-types de la domination, patrimoniale, féodale, étatique, bureaucratique et charismatique, se dessinent les contours d’une analyse sensible aux formes, aux relations et aux attributs du pouvoir dans ses manifestations sociales. La traduction de ces analyses fondatrices vient combler ainsi un double vide : vide de conceptualisation à l’intérieur de la sociologie des rapports de pouvoir, souvent parasitée par des effets de mode et distinguant spécieusement un niveau « micro » et « macro » de l’analyse (indissociables chez Weber, qui ambitionne de décrypter les relations entre capitalisme et démocratie) ; vide éditorial autour de l’œuvre du sociologue allemand, dont la traduction française a été ralentie par une réception difficile au XXe siècle.

L’édition critique du sociologue Yves Sintomer, resituant les enjeux de la « sociologie de la domination » à l’intérieur de l’œuvre wébérienne et pour ses postérités en sciences sociales, présente le « retour à Weber » comme une nécessité non circonscrite à la sociologie politique, mais concernant la discipline dans son ensemble. Les textes traduits, contrairement à ceux rassemblés en 1971 dans la première édition d’Économie et société, présentent l’intérêt d’allier ancrage empirique et conceptualisation sociologique. Ce « caractère davantage empirique de La domination rend plus immédiatement perceptible le fait que le travail conceptuel vise d’abord chez Weber à donner des instruments rigoureux au service d’une sociologie historique » (p. 15). Aussi le pouvoir n’a-t-il pas vocation à être figé dans des présentations systématiques et scolastiques faites de définitions, d’apories et de scolies : il doit être étudié, comme tout autre objet de la sociologie, dans un aller-retour permanent entre construction empirique et théorisation. « De l’intensité et de la cohérence de ce cercle dépend l’« objectivité » de l’analyse (p. 16). D’elles en dépend également la portée critique : si la sociologie de la domination, répertoriant les formes sociales de la sujétion volontaire et les modalités de résistance au pouvoir, peut avoir une quelconque portée critique dans nos démocraties, c’est uniquement en vertu de sa « solidité épistémologique ». Une science sociale de la domination ayant abandonné les règles fondamentales de la méthodologie empirique, de la distanciation vis-à-vis de l’objet, de l’interdisciplinarité maîtrisée (entre sociologie, philosophie et histoire), de la rigueur démonstrative, ne peut que confondre, comme Weber aime à la répéter, jugements de fait et jugements de valeur. Ainsi les sociologues de la domination sont-ils paradoxalement astreints à une plus grande rigueur à l’intérieur de la discipline, précisément en vertu de la labilité et de la polysémie de leur objet.

Cette édition française de la « Sociologie de la domination » de Max Weber, alliant une traduction rigoureuse (par Isabelle Kalinowski), une exigence pédagogique (avec un appareil critique repris des éditeurs allemands) et un travail de présentation réfléchi (par Yves Sintomer) restera l’une des pièces maîtresses de la connaissance de Weber en français.

Federico Tarragoni

Federico Tarragoni
5 février 2014
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