Les droites et la rue. Histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours
Danielle Tartakowsky La découverte, 2014, 222 p., 18 €La « Manif pour tous » a eu pour effet de questionner la capacité de la droite à occuper la rue. L’acte protestataire est considéré comme l’apanage de la gauche ! Cette image d’Épinal voudrait que la marche collective dans la rue renvoie nécessairement à la « marche pour le progrès ». Or, il n’en est rien : depuis l’Affaire Dreyfus, en passant par la crise du 6 février 1934, les manifestations pro-coloniales du 13 mai 1958 à Alger, la levée en masse contre-révolutionnaire du 30 mai 1968, les manifestations pour la défense de l’école libre en juin 1984, l’histoire républicaine est jalonnée de manifestations anti-progressistes ou réactionnaires. Qu’y a-t-il de commun entre ces pratiques protestataires de l’espace public ? Comment appréhender la coprésence – à la fois confrontation, emprunt et interférences – de registres et répertoires de mobilisation « progressistes » et « réactionnaires », de gauche et de droite, de 1880 à aujourd’hui ? Au fil de la démonstration de Danielle Tartakowsky, bien menée et empiriquement étoffée, une histoire protestataire spécifique se dessine. Entre les processions religieuses contre les politiques de laïcisation des années 1890, les cortèges étudiants de la fin de siècle conspuant les figures de l’autorité au nom de la nation, les actions directes prônées par les ligues entre XIXe et XXe siècles, les manifestations socio-professionnelles des années 1950, la captation gaulliste de la rue, puis la crise « post-moderne » de la tradition patriotique après 1968, la droite change d’idéologie et de valeurs. Pour autant, ces évolutions masquent une permanence des répertoires de mobilisation, esquissés dès la fin du XIXe siècle (en particulier la « manifestation-insurrection » à laquelle la droite donne ses lettres de noblesse). La temporalité courte des irruptions dans l’espace public dialogue ainsi avec une temporalité plus structurelle : c’est la méthode nécessaire pour déchiffrer une tradition contestataire partiellement autonome, jalonnée de ruptures qui sont autant d’entorses au monopole progressiste de la rue.
Federico Tarragoni
14 février 2014