« Cette enquête n’en est une que pour ceux qui trouvent problématique la participation de presque tous à la production d’un profit qu’ils ne s’approprient pas. » Très complète, elle a été effectuée au sein de l’une des plus grandes firmes de distribution européenne (anonymisée ici sous le nom de « Batax »), qui emploie plus de 100 000 personnes en France. La sociologue Marlène Benquet avait déjà enquêté sur une grève menée par les caissières d’un hypermarché marseillais. Pour cette étude, elle a travaillé à trois niveaux : avec les caissières, les dirigeants et les organisations syndicales. L’observation participante lui permet de se situer au plus près de l’expérience des salariés et de l’évaluation qu’ils font de leur situation, retranscrites d’une manière particulièrement vivante et intéressante. La chaîne de règles et d’actions, de l’objectif de profit (15% depuis que Batax est passé entre les mains d’un fonds d’investissement en 2008) jusqu’au travail concret effectué en caisse est ainsi reconstruite. Comment obtenir l’investissement des salariés dans un contexte de réduction drastique des coûts et des effectifs ? Ceux-ci travaillent, non par conviction du bien fondé de l’entreprise, mais parce qu’ils ne peuvent faire autrement. Pour chacun, l’organisation du travail, dans sa matérialité comme dans la (non-)circulation de l’information, dessine un « paysage de possibilité (…) de façon à ce qu’il n’estime pas possible d’agir autrement que dans le sens attendu ». Les cadres dirigeants eux-mêmes semblent avoir peu de prise sur la réalité de l’entreprise... Quant au travail en caisse, il s’apparente au travail « à la caisse », manifestation douloureuse d’une taylorisation croissante du secteur tertiaire. Au final, quelle que soit leur position hiérarchique, « les individus sont plus coincés que convaincus ».