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Persécutions et entraides dans la France occupée. Comment 75 % des juifs en France ont échappé à la mort

Jacques Semelin Les Arènes-Seuil, 2013, 912 p., 29 €

Voici un beau livre : quelque 900 pages pour décrire les multiples formes de solidarité qui ont permis à 75 % des juifs de France de traverser indemnes l’Occupation. Une véritable « exception française ». Cet ouvrage offre une vision renouvelée de l’aide apportée aux juifs dans la France occupée, nuançant ainsi la vision manichéenne véhiculée par certains historiens (Paxton, etc.) d’une France entièrement pétainiste et antisémite. Jacques Semelin, spécialiste des résistances civiles, s’intéresse à la « solidarité des petits gestes » en enquêtant auprès des survivants ou de leurs descendants et recueillant de très nombreux témoignages (y compris de personnes devenues célèbres (Edgar Morin, Robert Badinter, Stanley Hoffmann, Léon Poliakov). L’historien rappelle toute la complexité de la période, distinguant la France du Nord, occupée par les Allemands, de la zone dite « libre » (jusqu’en 1942) où le gouvernement de Vichy, au nom de la préférence nationale, se soucie peu des juifs français et cible surtout les juifs étrangers venus massivement en France entre 1925 et 1938. L’administration et les institutions restent en place, y compris les instances juives (Consistoire central israélite de France et Union générale des israélites de France par exemple). Jacques Semelin connaît bien le rôle des nombreux obscurs, qui ont agi par simple humanité et qui sont honorés sous le nom de « Justes » par le monument de Yad Vashem à Jérusalem. Mais il démontre de manière convaincante que leurs actions ne suffisent pas à expliquer que 75 % des juifs aient été sauvés et qu’il faut tout autant s’attacher à la « solidarité des petits gestes » : la concierge qui prévient, le voisin qui cache, l’employé de mairie qui fait des faux papiers, la convoyeuse qui fait passer en zone sud les enfants de parents arrêtés, etc. Cette solidarité sauve aussi nombre de juifs étrangers sans ressources et sans relations. 1942 voit le grand tournant : port de l’étoile jaune obligatoire en zone nord, rafle du Vel’d’hiv, occupation de la zone sud. La rafle du Vel’d’hiv est un déclic : une conscience collective émerge : la « solution finale est en marche », les signes de compassion se transforment en services d’entraide. De grandes voix se font entendre : les Églises, jusque-là muettes, dénoncent les mesures anti-juives et prêchent la désobéissance civile (Mgr Saliège à Toulouse, Mgr Théas à Montauban, l’évêque de Nice, le pasteur Marc Boegner, le pasteur André Trocmé). La résistance civile s’organise et réveille les consciences en bravant l’ordre établi par le refus de distinguer juif et non-juif. Le gouvernement de Vichy, sous la pression de l’Église et l’indignation de la population, freine pour organiser des rafles. Avec les secours financiers venus des USA, de Suisse ou des Quakers, les initiatives individuelles se structurent, des réseaux se créent, les couvents s’ouvrent, des villages accueillent les réfugiés, qu’il faut nourrir, soigner, instruire (Le Chambon-sur-Lignon en Auvergne étant le plus célèbre) ; des agents des services officiels basculent parfois dans l’illégalité. Jacques Semelin ne verse pas dans l’angélisme et ne cache pas que certains de ces gestes d’entraide étaient intéressés : l’argent a été une motivation importante, dans un pays où règne la pénurie. Les juifs aisés ont été plus nombreux à s’en sortir que les autres. Si les juifs ont essayé malgré tout de vivre une vie la plus normale possible, la toile de fond reste la peur : le mensonge devient une stratégie pour les réseaux, qui ne sont jamais à l’abri d’une dénonciation ou d’une erreur. Un livre émouvant, qui donne une belle image de l’homme face à sa conscience.

Annie da Lage
20 novembre 2013
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