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L’inséparé. Essai sur un monde sans autre

Dominique Quessada Puf, 2013, 322 p., 20 €

Que se passerait-il si la notion d’Autre s’évanouissait ? Disparition de toute transcendance, de toute intériorité, déploiement d’un plan d’immanence où toute réalité se constitue, inséparée, mais non sans complexité. Or c’est bien ce qui est en train de se dérouler, dans tous les domaines – qu’ils soient sociaux, politiques, économiques ou scientifiques. Cette logique, il n’est pas question de se demander si elle est bonne ou mauvaise : elle est. Loin de la refuser, Dominique Quessada propose de lui donner toute sa place afin de défaire les fondements du préjugé narcissique de l’Occident et sa croyance naïve en une spécificité de l’humain, avec ses mythes et ses croyances. Les analyses sont suggestives et séduisantes. Mais quel statut leur donner ? D’une manière très foucaldienne, elles se fondent sur l’affirmation implicite que ce qui se passe dans le domaine de la culture atteint la strate ultime de la philosophie. Mais l’histoire des idées – et donc, finalement, la mode – suffit-elle à atteindre le plan le plus radical ? Cette pensée ne serait-elle pas tout simplement le reflet de l’idéologie libérale ? Ne serait-elle pas ce que Marx disait des jeunes hégéliens : brebis déguisées en loup ? Malgré les derniers chapitres qui s’efforcent de montrer que les droits de l’homme seraient encore mieux fondés en droit des hommes, désormais pris dans un « nous » lui-même inséré dans le grand « nous », constitué aussi par les animaux, les végétaux et les objets, effaçant toute figure, on se prend à trembler en imaginant ce que l’inscription politique d’un tel projet pourrait faire advenir. Car le nouveau contrat « entre entités ayant fait disparaître la pertinence descriptive ou existentielle de l’idée d’une différence entre le même et l’autre » maintiendra « inégalités, égoïsmes, injustices, répartition inéquitables des richesses et des produits du développement […] pendant encore longtemps au maximum de leur intensité. » C’est peu dire. Enfin un effroi : était-il vraiment nécessaire de mettre le lecteur nez à nez avec une photographie hallucinante du supplice chinois « des Cents morceaux » sous prétexte qu’elle fut la hantise de Georges Bataille ? Et deux agacements : la disparition des chiffres romains pour désigner les siècles, « inatteignable » systématiquement mis pour « inaccessible ».

Alain Cugno
21 octobre 2013
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