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Moscou et le monde. L’ambition de la grandeur : une illusion ?

Anne de Tinguy Ceri-Autrement, 2008, 216 p., 17 €

Anne de Tinguy.

La Russie de Poutine a cherché  récemment à « redevenir maître de son destin, peser sur la décision, être une force de proposition, être reconnue comme un élément moteur d’un ordre international plus juste ». Elle a eu une ambition à la fois de « puissance » et de « grandeur », puissance et grandeur devant s’appuyer, a dit un jour Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, sur du soft power, la « capacité de ‘jouer en équipe’, d’être prêt à promouvoir un agenda positif sur une large gamme de pouvoirs internationaux, de pouvoir garder son identité culturelle et civilisationnelle tout en respectant la diversité des cultures et des traditions du monde ». Mais, comment la Russie s’est-elle acquittée de ce programme pendant les deux mandats de Vladimir Poutine ? Telle est la question qui oriente l’intéressant ensemble d’études rassemblées ici par Anne de Tinguy, du Ceri.

L’élévation au rang de « superpuissance énergétique », en particulier, a-t-elle eu ici un caractère décisif ? « Le terme de superpuissance, dit Vladimir Baranovski, directeur adjoint de l’IMEMO 1, ne paraît pas si déplacé. Autrefois, ce statut était lié au potentiel nucléaire. Dorénavant, ce sera la possession de ressources qui sera déterminante. En vertu de cette logique, la Russie apparaît comme un acteur clé sur la scène mondiale » 2. C’est peut-être trop dire, poursuit toutefois V. Baranovski, mais cela donne au moins à la Russie, reprend-il encore, une bonne « marge de sécurité » pour jouer un rôle d’acteur mondial. Un « régime fort », comme celui établi par Vladimir Poutine, a-t-il été un atout ? Sans doute, tendent à dire nos auteurs, cependant trop d’assurance peut devenir, à leurs yeux, dangereux. Comme on l’a vu naguère pour les Etats-Unis si confiants, trop confiants, après la victoire dans la Guerre froide. En outre, les Russes tendent à voir le monde comme une jungle, à la manière de leur propre pays : une approche dangereuse, à nouveau !

Cette volonté s’accompagne-telle, on le craint parfois, du retour d’une coupure idéologique ? Bien entendu, nous dit Barankovski, « l’opposition entre communisme et capitalisme n’est plus d’actualité en Russie et son influence sur la politique étrangère est quasiment nulle » 3. Malgré tout, il faut, ajoute-t-il, observer cette différence : « Si une nouvelle fracture idéologique globale venait à opposer les paradigmes des démocrates libéraux et des extrémistes radicaux, l’appartenance de la Russie au camp occidental sauterait aux yeux. Elle pourrait cependant se révéler plus équivoque à des niveaux de positionnement idéologique moins élevés » 4.

Dans ce contexte, il est intéressant d’observer comment la Russie a géré la question de l’ex-Empire. Elle a mal géré, note-t-on, le post-impérial, c’est-à-dire la relation aux anciens membres de l’Union soviétique. Plutôt brutalement, d’une manière contradictoire avec un projet de grandeur. A l’endroit de l’Ukraine, des Etats baltes, de la Biélorussie, de la Géorgie, des pays d’Asie centrale, la Russie n’a presque jamais « séduit ». On a vu ainsi s’éroder ce qui fut quelque temps « l’espace postsoviétique ».

Malgré quelques espoirs au lendemain du 11 septembre 2001, Moscou a de même échoué finalement à s’entendre avec Washington. La Russie s’est plus d’une fois fâchée, mais à se fâcher on ne gagne pas en « grandeur ». Actuellement, la tendance est à modérer cette hostilité (car il faut tenir compte de la concurrence de la Chine et de l’Union européenne). « Les relations Moscou-Washington ont reposé trop largement sur les relations personnelles entre les chefs d’Etat (Clinton-Eltsine, Bush-Poutine), une trame bien fragile pour un partenariat qui, comme veulent le croire bien des responsables russes, est central pour les équilibres du monde » 5.

Avec l’Europe, qui a trop joué, elle, sur un mode paternaliste, de l’idée de « transition », prétendant aider la Russie à « passer » à la démocratie, la distanciation joue aujourd’hui d’autant plus que l’Union a été en faible posture depuis le double non français et néerlandais. Moscou a même freiné récemment une européanisation par la base, qui se réalisait du côté de Saint-Pétersbourg, de la Baltique et de la Finlande.

En privilégiant une nouvelle ouverture à l’Asie et au monde arabo-musulman, la Russie a donné l’impression qu’elle était prête à « quitter l’Europe ». Pour «l’Asie ». Une orientation pourtant peu vraisemblable, disent les auteurs, car l’Asie demeure trop incertaine pour la Russie.

L’impression, au total, est celle d’une grande volatilité dans la politique étrangère russe. On ne repère pas de « lignes stables » 6 : tous les fers semblent au feu à la fois. Et il y a bien peu de relations profondes, de peuples à peuples… Comme si tout pouvait être essayé, les diverses ou successives politiques se croisant entre elles, l’une étant là pour pallier l’échec d’une autre tentée auparavant… Ainsi, la Russie ne quitte pas l’Occident parce qu’elle se tourne vers des régions d’Asie centrale, du monde arobo-musulman, de l’Extrême-Orient. Malgré son discours sur un apport au dialogue des civilisations, « le fait qu’elle n’apparaisse pas dans les grands dossiers actuels comme un fournisseur de sécurité crédible, sa brutalité en Tchétchénie et la mondée de la xénophobie sur son sol lui ôtent sa crédibilité » 7.

Sous Poutine, donc, il y a eu souvent une distance importante de la coupe aux lèvres, ou bien des paroles aux politiques substantielles. Plutôt une abeille dans un bocal. On espère de nouveaux approfondissements avec une nouvelle présidence. Du soft power enfin, comme l’espérait Sergueï Lavrov ! Redisons-en la condition : « capacité de ‘jouer en équipe’, d’être prêt à promouvoir un agenda positif sur une large gamme de problèmes internationaux, de pouvoir garder son identité culturelle et civilisationnelle tout en respectant la diversité des cultures et des traditions du monde » 8. Ce qu’on attendrait aussi des Etats-Unis. Et, de l’un comme de l’autre, plus de démocratie, nous souvenant de la condition de la « paix perpétuelle » pour Kant, du gouvernement « républicain ».


1 / Institut de l’Economie mondiale et des Relations internationales de l’Académie des sciences de Russie, spécialiste de politique étrangère.
2 / Page 35.
3 / Page 50 (V. Baranovski).
4 / Ibid.
5 / Page 117 (Isabelle Facon, CERI).
6 / En existe-t-il, aujourd’hui, il est vrai, ailleurs dans le monde ?
7 / Page 201 (Anne de Tinguy et Isabelle Facon).
8 / Page 10.


Jean-Yves Calvez
1er mars 2008
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