Beaucoup d’Etats aspirent à rejoindre l’Union européenne. Mais l’Union n’est pas un Etat-nation. Elle est un projet qui aspire à dépasser les Etats-nations tout en continuant à les faire vivre. D’où une contradiction qu’il faut penser plutôt que de chercher à la dépasser. De cette ambivalence historique découle ce que nous appellerons l’énigme de la puissance européenne. Il ne suffit pas de donner à l’Europe des institutions. Il faut donner un sens à ces institutions, il faut donc s’interroger sur le contenu des choix et des préférences de l’Europe et ne pas séparer sa politique extérieure de ses préférences sociales, économiques et culturelles. L’Europe « fait puissance », mais autrement que ne le fait un Etat : non pas en se considérant comme le garant ultime de sa sécurité mais en s’appliquant à mettre en œuvre d’abord chez elle mais plus largement au plan mondial une coopération appuyée sur des normes. Elle aspire à être une puissance normative posant des règles négociées et non imposées, légitimées par des instances internationales représentatives et opposables à tous les acteurs du système international indépendamment de leur position hiérarchique au sein de celui-ci. Face aux Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie qui ne parlent que la langue de la souveraineté nationale et pratiquent à outrance la Realpolitik, l’Europe parviendra-t-elle à imposer la force de la norme plutôt que la norme de la force ?