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Anatomie des droites européennes

Agnès Alexandre-Collier et Xavier Jardin Armand Colin, 2004, 264 p., 22 €

La première et principale originalité du livre d’Agnès Alexandre-Collier et Xavier Jardin est d’éclairer non pas la réalité des droites tout court mais celle des droites européennes. Le rapprochement entre ces dernières est en effet chose rare encore, dans la recherche sociale, alors qu’il devient fort utile aujourd’hui. Car il est de plus en plus clair que nous vivons à cette échelle.

Le défaut du livre, en même temps, je m’excuse de commencer par là – mais il faut relever cette limite –, c’est d’avoir été écrit, publié en tout cas, en… mai 2004 : trop tard pour pouvoir éclairer l’élection au Parlement européen et trop tôt pour tenir compte de la configuration résultant de cette élection et, plus simplement encore, de l’entrée de dix nouveaux Etats dans l’Union. Nos auteurs ne parlent de l’incorporation de ces Etats que dans un paragraphe, le dernier, et nous en disent bien peu : « Si les partis démocrates-chrétiens et conservateurs d’Europe centrale et orientale s’inscrivent dans les mêmes traditions idéologiques qu’en Europe occidentale, leurs situations politiques nationales demeurent très variées. Le visage de la droite européenne pourrait s’en trouver considérablement changé ». Et « la plus grande diversité qui résulterait de l’intégration de ces nouvelles forces entraverait le processus de convergence des droites européennes ». Nous restons sur notre faim.

L’ouvrage, tel qu’il se présente, dresse un bilan des années 1990/2000, un moment où les droites sont venues au pouvoir dans un grand nombre de pays d’Europe, après avoir été plutôt à l’écart dans la période précédente. La France n’est, il est vrai, pas tout à fait typique, c’est un peu tard en effet que la droite y est arrivée (revenue) au pouvoir, et le gouvernement de droite, né dans des circonstances exceptionnelles en 2002, s’est trouvé contesté dès 2004 dans les élections régionales comme dans l’élection au Parlement européen.

Faut-il noter une autre différence ? L’image d’ensemble, donnée dans ce livre, est celle de droites modérées. Pas intrinsèquement peut-être, mais prises dans un moment de modération, en comparaison par exemple de la période Thatcher au début des années 80. Si parmi les trois traits qui caractérisent les droites, conservatisme, libéralisme, nationalisme, on se tourne vers le libéralisme, ce n’est plus le « néo-libéralisme » au programme ambitieux et radical, à l’esprit combattant, c’est plutôt le règne d’une « logique gestionnaire » prudente. Le plus caractéristique du moment serait dans le durcissement des politiques touchant l’immigration et la sécurité. En France, il est vrai, d’autres chercheurs, dans la revue Mouvements : sociétés, politique, culture, intitulent tout un cahier en septembre-octobre 2004 « La droite contre la société ». Une droite combattante donc, et que l’on veut aussi combattre vigoureusement : « droite Medef », ce qui ne veut pas dire, ajoute-t-on, que c’est le Medef qui gouverne « mais c’est bien lui qui a pensé depuis quelques années une sorte de logiciel intellectuel pour ‘réformer’ la société française et ‘refonder’ le social ». Et il s’agirait toujours bien des « idées néolibérales ». « De réforme de l’assurance-maladie en remise en cause des 35 heures, de pression financière et morale sur les chômeurs pour qu’ils acceptent d’être transformés en ‘travailleurs pauvres’ en déstructuration du code du travail, c’est ce que nous nommons la stratégie Medef qui continue d’être mise en œuvre » ( y compris dans le nouveau gouvernement Raffarin). Qui a raison ? Ceux qui parlent, pour la France en tout cas, de tentative de « destruction du contrat social forgé au moment de la libération », ou ceux qui parlent, plus largement d’ailleurs, de logique gestionnaire, libérale mais « modérée » ? Peut-être notera-t-on que la revue Mouvements nous entretient de la période la plus récente, non point de la relativement longue période des dix dernières années.

Je crois vrai qu’en France, à la différence sans doute de l’ensemble des droites européennes, on sent monter comme l’orage d’un soir d’été. Il faudra y veiller : trois années par exemple avec l’impression qu’on est gouverné dans un sens différent de la majorité réelle, cela risque d’être difficilement supportable pour beaucoup. Jacques Chirac a prétendu entreprendre de changer l’atmosphère après le printemps de 2004. Il n’a pas été bien loin encore.

En attendant, le livre d’Agnès Alexandre-Collier et Xavier Jardin trace le cadre des forces politiques de droite qui gouvernent actuellement, et par là d’ailleurs le cadre politique tout court (il ne manque pas d’allusions à la social-démocratie comme à la «troisième voie») dans la plus grande partie de l’Europe, du moins occidentale.

Jean-Yves Calvez
1er novembre 2004
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