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L'injustice ménagère - pourquoi les femmes en font-elles toujours autant ?

François de Singly

Une grande question, qui méritait une recherche scientifique menée avec des moyens que n’ont malheureusement pas les équipes de sociologues universitaires. Comment « les femmes rendent compte de la prise en charge, inégale, du travail domestique au sein de la vie conjugale hétérosexuelle afin de mieux comprendre les résistances au partage égalitaire de ce travail. : (p. 9). Hypothèse de départ : il est impossible d’appréhender par un biais statistique la complexité des inégalités entre genres, car elles relèvent pour une part de la domination masculine, et pour une autre de l’affirmation de soi dans une identité sexuée. La matière est fournie par des entretiens avec des femmes, parfois des couples. L’analyse des situations particulières doit aider à mieux comprendre ce qui est à l’œuvre dans le cas général.

L’optique est claire : l’auteur principal milite en introduction et en conclusion pour une plus grande égalité. Les trois enquêtes – menées par des femmes – sont là pour comprendre pourquoi cet idéal d’égalité n’est pas atteint. Les résultats sont énoncés avec prudence et nuances, ouvrant des perspectives plutôt que fermant le débat : on distingue ainsi entre égalité objective et sentiment d’égalité, entre le care « rendre service : et le care « être au service :, et on constate qu’homme et femme ne comptabilisent pas forcément de la même façon. De sorte que l’égalité n’est pas à envisager seule : « l’égalité n’est donc pas l’unique valeur qui structure les relations privées ou publiques : (p. 21). Le constat est rhétorique : on s’en doutait. Reste à décliner ces autres valeurs, et là l’ouvrage est plus flou. L’une cependant émerge nettement : la liberté de chacun à se construire soi-même au-travers des activités de son choix est revendiquée par les femmes enquêtées, dans la logique de l’individualisme.

Un ouvrage intéressant dans son effort de donner la parole aux acteurs pour écouter au plus près leurs constructions rhétoriques, en rejetant les grilles compréhensives ou politiques qui refusent de laisser l’individu arbitre de son propre sort au nom d’une idéologie. Un livre qui repose, sous l’éclairage du partage des tâches ménagères au sein du couple, la question de la difficile conjugaison de l’égalité avec la liberté, et des deux idéaux avec le principe de réalité et l’impératif d’efficacité.

Le principe d’égalité, tout le monde semble en parler uniment : acteurs et enquêteurs s’accordent d’emblée pour le considérer comme souhaitable, et ils expliquent les modulations de la réalité par rapport à cette égalité idéale. La liberté en revanche fait difficulté : plusieurs niveaux de liberté se croisent et s’entrechoquent. Il y a la liberté qui s’oppose à l’asservissement ménager, celle qui consiste à choisir chacun les tâches que l’on aime faire. Il y a la liberté exprimée dans le mode de réalisation, qui fait que chacun réalise ses tâches comme il l’entend. Et il y a la contrainte de l’emploi du temps, qui fait que parfois chacun fait plutôt ce qu’il a le temps de faire. A quoi il faut ajouter le désir de reconnaissance, ce qui laisse comprendre combien sont multiples et difficiles à contrer les causes de l’inégalité objective de répartition des tâches au sein du couple.

Un regret : l’auteur ne définit pas l’extension du champ des « tâches ménagères : dont il traite, et ne précise pas qui impose sa définition tacite : est-ce l’enquêté qui définit lui-même ce qu’il entend par là  ? On aimerait alors une réflexion sur les critères qui apparaissent ici et là : le fait d’avoir trait au domicile (ménage, devoirs des enfants) ou d’être une constante de l’emploi du temps (accompagner ou aller chercher les enfants), la pénibilité (qui fait surgir au détour d’une enquête les copies à corriger comme comparant), la répétitivité n’impliquent pas toujours les mêmes généralisations. De même, quelle conception en a chaque enquêtrice et en quoi ses questions orientent-elles la compréhension de la sphère ménagère ? Apparemment, toutes les personnes interrogées ne mettent pas l’accent sur les mêmes choses, et des compensations à un surcroit d’implication ménagère sont envisagées par les acteurs et l’analyste sur des plans hétérogènes - pêle-mêle : reconnaissance, temps disponible (de l’un, qui le dépense en temps de ménage et temps pour soi, ménageant par là du temps « libre : pour le couple), marques d’affection, image renvoyée à l’extérieur, etc.

Il est rare que l’analyste considère le partage du travail ménager autrement que comme une répartition des tâches. Même dans les suggestions proposées en conclusion, la révolution attendue tient dans l’ alternance des fonctions : qui prend en charge quelle tâche, lui ou elle ? Ou bien une variante : quel jour fait-il ou fait-elle telle tâche ? – avec un ou toujours exclusif. Pourtant – cela apparaît à plusieurs reprises dans les citations d’entretiens –, les femmes acceptent parfois l’aide de leur mari, avec plaisir et même au détriment de l’efficacité, pour la satisfaction d’œuvrer à deux et, on peut le supposer, pour le bénéfice de cet instant de partage.


Marie-Emmanuelle Simon
6 juin 2008
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