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Le passage à l’Europe, histoire d’un commencement

Luuk van Middelaar Gallimard, 2012, traduit du néerlandais par Daniel Cunin et Olivier Vanwersch-Cot, 479 p., 27,90 €

L’auteur décrit la naissance de l’Europe politique dans le cadre des institutions nées des traités de Paris1 et de Rome2, du point de vue de l’historien et du philosophe. Bien documentée, sa présentation évite cependant de s’enliser dans des détails techniques pour s’en tenir à une réflexion soutenue par de nombreuses références empruntées à la philosophie politique.

La première partie, Le secret de la table, propose de dépasser l’opposition traditionnelle entre coopération intergouvernementale et pouvoir supranational pour considérer le jeu des trois sphères européennes : la sphère externe  (celle des relations entre Etats régies par le droit international), la sphère interne (celle des institutions dont l’autorité supranationale est garantie par les traités) et la sphère intermédiaire (celle des Etats membres qui développent une conscience européenne commune et modèlent, par touches successives3, le paysage institutionnel et juridique européen). Au centre du jeu, pour Luuk van Middelaar, le Conseil européen4, qui pilote le processus d’intégration politique du continent. La crise financière et la menace qu’elle fait peser sur l’euro semblent confirmer cette thèse. Elles rendent manifeste en effet, le rôle prééminent du Conseil entraîné par le couple franco-allemand, et l’effacement de la Commission, malgré le souhait des petits Etats de lui voir jouer un rôle fédérateur plus entreprenant.

L’auteur analyse le processus décisionnel européen à chaque nouvelle étape de l’intégration institutionnelle. Ce processus est marqué à la fois par les prétentions politiques des institutions européennes, les luttes de pouvoir entre Etats membres, et les enjeux de la représentativité des citoyens. Lors des Sommets européens, les chefs d’Etat défendent les intérêts nationaux de leurs pays respectifs, mais s’accordent sur des compromis pour exprimer un intérêt commun, et sont appelés à faire valoir les avantages de la coopération et de l’intégration européenne auprès de leurs opinions publiques. Dans une économie de plus en plus mondialisée, et liés par les traités déjà signés, les chefs d’Etat ont en effet plus à gagner à s’entendre qu’à se diviser pour atteindre leurs objectifs. Là réside le ressort de l’intégration européenne. Une deuxième partie interroge la réactivité de l’Europe aux évènements extérieurs pendant trois grandes périodes : les années de la fondation (1950-1957), le séjour dans la Communauté (1958-1989), depuis la chute du Mur (après 1989).

Une dernière partie, souligne le désintérêt des opinions publiques à l’égard du processus d’intégration européenne, et les difficultés de passer d’une Europe des Etats à une Europe des citoyens. Cette « quête du public », prend plusieurs figures dans la recherche d’ une légitimité des institutions auprès des populations : la stratégie allemande ou l’art de fabriquer une nation en misant sur l’identité culturelle et historique des gouvernants et des gouvernés, la stratégie romaine ou l’art de s’attacher les clients grâce aux avantages qu’ils retirent et la stratégie grecque ou l’art de séduire le chœur (en l’occurrence les citoyens) en le faisant participer aux décisions. Cette typologie donne sans doute une bonne description des efforts fournis, mais elle n’explique pas l’écart entre une population majoritairement pro-européenne et des institutions qui peinent à asseoir leur légitimité. Luuk van Middelaar minimise le déficit démocratique des institutions européennes et son optimisme n’est pas toujours convaincant.

Au total, un livre riche d’informations pour qui veut mieux comprendre la naissance d’une Europe politique dans le cadre de l’Union Européenne. Il eût gagné à pousser la réflexion en affrontant la question du rapport du politique à l’économie. Edifier une Europe politique sur le socle d’une intégration économique est-ce la même chose que l’édifier sur un socle de valeurs communes ? Dans un cas, la naissance de l’Europe politique se fait au forceps, poussée par les nécessités économiques et financières, selon un processus que décrit très bien Luuk van Middelaar. Dans l’autre, elle suppose de larges débats éthiques pour conduire à l’élaboration de conventions multilatérales signées et ratifiées par les Etats membres. Un corpus législatif européen se constituerait, creuset d’une conscience commune autorisant un projet de société européenne et, in fine un projet politique européen. L’enjeu fondamental semble être celui-ci : l’Europe politique gagne-t-elle à s’édifier sur le socle de la coopération et de l’intégration économique, ou sur celui de la dimension humaine ? Alors que les deux idéologies dominantes en Europe, l’idéologie étatiste5 et l’idéologie néolibérale6, la première inféodant l’économie au politique, la seconde organisant l’autonomie des marchés, sont très présentes dans l’édification de l’Europe politique au sein de l’Union Européenne, ne conviendrait-il pas mieux, pour que les institutions européennes gagnent en légitimité et que les populations européennes s’y sentent mieux loties, que l’Europe politique s’édifie selon l’intuition première des pères fondateurs de l’Europe, sur la base de l’expression juridique de la dignité humaine telle qu’elle existe au Conseil de l’Europe, la dimension économique accompagnant le processus par la création de solidarités de fait, selon la méthode communautaire définie par Jean Monnet et reprise par Robert Schuman ?

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1 18 avril 1951 : CECA.

2 25 mars 1957 : Marché commun et Euratom.

3 Notamment lors du compromis de Luxembourg du 29 janvier 1966.

4 Créé en 1974.

5 Surtout présente dans l’Europe latine : notamment en Belgique et en France.

6 Véhiculée par la culture anglo-saxonne.

Hugues Deletraz
23 juillet 2012
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