Cette collection de textes écrits par Honneth entre 1994 et 2004 donne une bonne idée du projet d’ensemble de ce philosophe qui tente de redonner des couleurs à une véritable philosophie sociale. Il le fait en successeur critique de Jürgen Habermas, et d’ailleurs le sous-titre de ce volume indique assez à quel point le débat avec son prédécesseur est ferme, vigoureux et sans concessions. Car Honneth ne propose rien de moins en effet qu’une Nouvelle Théorie Critique en continuité, mais surtout en rupture avec les perspectives de la célèbre Ecole de Francfort. Il vient combler ce qui à ses yeux constitue comme un point aveugle des théories actuelles sur la société : elles oublient de prendre en compte les « pathologies sociales », c’est-à-dire toutes les blessures qui proviennent des relations affectives (amour), de celles qui sont liées au droit et à ses violations, enfin à celles qui découlent de la mésestime sociale. Or nos sociétés sont sans doute à comprendre sous le signe de l’injustice, mais non pas (comme avec l’américain John Rawls) en postulant des principes de justice qui aient l’accord du grand nombre, mais en analysant les formes diverses de non-reconnaissance sociale. Le nouveau nom de l’injustice serait en somme le mépris, lequel engendre toutes sortes de maladies plus ou moins graves qui jusqu’ici ont rarement été prises au sérieux. Il faut donc à la fois les cerner et les critiquer car elles altèrent « des possibilités de vie présupposées ‘normales’ ou ‘saines’». Mais la question serait justement de savoir ce qui, de nos jours, permet « à l’individu une réalisation de soi sans entrave » !… A vrai dire ce livre-ci consacre beaucoup de place au débat théorique avec Habermas, et beaucoup moins à une analyse de la dite société du mépris. Dans cette nouvelle édition en français, une longue préface de Olivier Voirol situe ces pages dans la démarche d’ensemble de Honneth.