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La société des victimes

Guillaume Ellner La Découverte, 2006, 224 p., 15 €

Après avoir longtemps ignoré les victimes et refoulé leur mémoire, la société française s’est mise à pratiquer le culte des victimes. Selon G. Ellner, nous sommes entrés dans le règne du « consensus compassionnel ». Des secteurs entiers de l’opinion publique se succèdent sur scène pour exhaler leur ressentiment. Les hommes politiques jouent des coudes pour être les premiers sur les lieux des catastrophes et tendre une oreille secourable à cet étalement de souffrances. Les médias deviennent les avocats de ces causes pour le grand public et y gagnent des parts d’audience. Les intellectuels eux-mêmes plaident en faveur des peuples opprimés ou vivant des drames. Le monde devient un lit de souffrances catégorielles. Les victimes ont perdu leurs connivences avec les terrains d’enfouissement antérieur : famille, territoire, religion, nation. Le passé est alors appelé en renfort pour stigmatiser les temps de l’esclavage ou les méfaits du passé colonial. Pour les descendants lointains des victimes, la reconnaissance de leur statut humilié est devenue un impératif social et un enjeu. Mais la mémoire affichée de ces injustices passées est sélective, anachronique et oublieuse d’autres aspects du paysage d’antan. Quand le manichéisme est de retour, le tissu social se déchire un peu plus et la consistance de la société se fragilise dans un climat d’exaspération grandissante. Pour certains agents du business, même « la faim devient un événement à la mode ». Guillaume Ellner tend à surdéterminer son propos et à surcharger son bilan accusateur. Mais il n’a pas tort de penser que les excès du « victimisme » actuel transforment nos démocraties en lieu d’exaspération mutuelle.

Henri Madelin
6 juin 2012
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