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Bienvenue dans le capitalisme 3.0

Sandrine Cassini et Philippe Escande Albin Michel, 2015, 250 p., 18 €

Bienvenue dans le capitalisme 3.0 décevra le lecteur en quête de certitudes sur le monde de demain. Le féru de nouvelles technologies n’y apprendra rien. Le sceptique et l’incrédule pourront penser que les auteurs y projettent leurs propres fantasmes. En revanche, le curieux trouvera dans ce livre – dû à la plume alerte de deux journalistes – un panorama exhaustif des évolutions en cours liées au numérique. Il prendra conscience des changements déjà à l’œuvre et de ceux qui pourraient intervenir dans un avenir plus ou moins proche. Il découvrira également qu’il peut en être un acteur à son corps défendant.

Une chose est sûre, et nous le constatons chaque jour davantage, le numérique envahit nos vies et bouleverse à une vitesse vertigineuse notre rapport au travail et à l’emploi, nos modes de production de biens et de services, nos manières de consommer, de communiquer, de conduire, notre façon d’apprendre, de gérer nos économies, de nous soigner, de nous assurer, de nous loger… Les entreprises et les administrations – dans leur configuration et leur philosophie actuelles – sont menacées, et si la disparition du salariat n’est pas encore à l’ordre du jour, ce mode d’organisation du travail est en voie de forte régression, au profit, notamment, de l’auto-entreprenariat. Philippe Escande et Sandrine Cassini ne se contentent pas de décrire ces bouleversements, ils alertent, également, des dérives possibles. Ainsi, du fait du Big Data, nous ne devrions bientôt plus avoir de vie privée. Nos comportements, nos centres d’intérêt, nos insatisfactions n’ont déjà plus de secrets pour la toile : « À travers leurs algorithmes – suites de règles logiques simples dictant à l’ordinateur ce qu’il doit faire –, ils [les nouveaux envahisseurs de notre intimité] sont capables de deviner nos besoins, nos envies ou imaginer les services qu’il nous faut. » Dès que nous nous connectons à internet, nous devenons producteurs de données, pour notre bien ou notre mal, en tout cas pour le plus grand bénéfice des entreprises qui traitent les informations que nous leur fournissons gratuitement. Les acteurs de ce changement s’appellent Google, Apple, Facebook et Amazon, mais aussi Uber, BlaBlaCar et Airbnb, sans compter ces startups anonymes qui se créent sur la base d’un concept novateur. P. Escande et S. Cassini concluent que le numérique sera ce que nous en ferons : un peu comme les langues d’Ésope, il peut être la meilleure et la pire des choses à la fois.

Ce livre, fruit d’une minutieuse enquête auprès d’utilisateurs et d’acteurs du numérique et de l’analyse de nombreuses études, n’est toutefois pas exempt de reproches. Nos auteurs considèrent, en effet, le numérique comme quelque chose d’inéluctable et en négligent les limites. L’une d’elle a été soulignée dans un précédent numéro par Jean Gadrey, Philippe Bihouix et François Jarrige (cf. Revue Projet, n° 349) : le caractère limité des ressources naturelles (terres et métaux rares qui entrent dans la composition de nos ordinateurs, tablettes et smartphones) et l’énorme quantité d’énergie nécessaire au fonctionnement du système qui pourraient en freiner le développement. Éblouis par les opportunités offertes par le Big Data, Philippe Escande et Sandrine Cassini en ignorent les faiblesses. Comme l’ont montré deux chercheurs de l’université de New York, le Big Data ne tient pas compte des données jugées « aberrantes » (qui ne suivent pas le modèle statistique dominant) et produit des résultats contestables, étant incapable de « prendre en compte l’imprévu » et de « faire face aux incertitudes ». Malgré tout, Bienvenue dans le capitalisme 3.0 constitue une approche détaillée de la révolution numérique en cours.

Patrice Le Roué
25 février 2016
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