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Aurais-je été résistant ou bourreau ?

Pierre Bayard Éditions de Minuit, 2013, 160 p., 15 €

Comment auriez-vous agi durant la Seconde Guerre mondiale ? Résistant, collaborateur ou, comme la grande majorité des Français, ni l’un ni l’autre ? Partant de cette question, l’auteur signe un essai passionnant. Pourquoi certains s’engagent, au péril de leur vie, quand d’autres restent passifs ? Pierre Bayard n’ignore pas que le comportement d’un être humain n’est jamais prévisible, mais il se demande comment l’on devient résistant. Comment passe-t-on d’un affrontement intellectuel à un engagement physique ? La question est alors de comprendre où trouvent leur force les personnes qui ont fait ce passage. L’auteur pose d’abord les jalons d’une méthode qu’il veut à la croisée des sciences humaines, de la littérature et de la fiction. Il imagine avoir 18 ans en 1940. Grâce à un personnage délégué, sorte de double de lui-même corrigé des éléments conjoncturels de la culture et de la société. Ce personnage est également inspiré de son propre père. L’hypothèse est que nous possédons tous une personnalité potentielle qui ne se déploie qu’en période de crise profonde des valeurs. Il explore les conditions de ce déploiement pour mieux comprendre les raisons de l’engagement : face à un conflit éthique, arrive le moment de la bifurcation où je peux choisir de m’engager ou non. Le film Lacombe Lucien (1974) de Louis Malle, l’expérience de Milgram et l’ouvrage Des hommes ordinaires de Christopher Browning (1992) fournissent des exemples passionnants de la façon dont des individus agissent face à une bifurcation. Dans une deuxième partie, Pierre Bayard explicite les raisons d’un engagement dans la Résistance. Il rassemble celles-ci sous le titre de « contrainte intérieure » : le désaccord idéologique, l’indignation et l’empathie. Les exemples tirés de l’histoire et de la littérature enrichissent là aussi le propos : Daniel Cordier, de formation maurassienne, finit par s’engager aux côtés du Général de Gaulle après un parcours étonnant ; Romain Gary, dans La promesse de l’aube, sur son indignation face aux injustices héritées de sa mère ; André et Marta Trocmé qui, par empathie, organisent l’accueil d’enfants juifs pendant la guerre. Pour autant, la réticence intérieure pèse également. C’est l’objet de la troisième partie. La peur, les cadres de pensée, le défaut de créativité s’opposent à l’engagement. À travers les exemples de Hans et Sophie Scholl, du consul portugais Aristides de Sousa Mendes et de Milena Jesenska, l’auteur montre comment certains arrivent à dépasser cette réticence intérieure en affrontant la peur, en bousculant leurs cadres de pensée et en innovant. Survient alors le point de bascule, où l’affrontement entre ces forces contraires trouve une issue dans une décision concrète « où les lignes de la personnalité potentielle se révèlent au grand jour » (p. 125). L’auteur s’extrait ici du cadre historique de la Seconde Guerre mondiale pour envisager le cas de personnes qui ont vécu les génocides de la fin du XXe siècle  (au Cambodge, au Rwanda, en Bosnie). Les témoins mobilisés par Pierre Bayard déclarent avoir trouvé en eux-mêmes la force de s’opposer et de vaincre la peur : « Cette présence à soi, qui confère une ‘liberté inaliénable’ ». Mais la présence à soi ne peut faire oublier la dimension de l’autre. L’engagement se fait parfois dans un rapport aux autres et non dans la clandestinité. Et enfin, la foi de certains témoins est un des moteurs essentiels de l’engagement en faveur de la défense du caractère sacré de l’être humain. L’engagement relève d’un mystère au plus profond de chacun, un « au-delà de l’explication », « qui est au cœur de l’humain et de sa liberté ». L’auteur propose ainsi un voyage singulier dans le temps. Un voyage qui donne envie de croire en sa propre capacité à trouver l’énergie nécessaire pour s’engager et de croire, en tout cas, qu’en chacun réside cette force intérieure de liberté.

Jeanne Chauvel
30 mai 2013
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