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Retour de flammes : les pompiers, des héros fatigués ?

Romain Pudal La Découverte, 2016, 280p., 16,50€

Faire connaître à un public large un univers paradoxalement méconnu : telle est l’ambition de Romain Pudal, sociologue et pompier volontaire pendant quinze ans. L’auteur réalise un difficile numéro d’équilibriste au fil des pages. D’une part, il assoit sa légitimité scientifique en s’inscrivant résolument au sein du courant interactionniste de l’école de Chicago. Les anecdotes et les extraits de conversation entre « gars » qui dynamisent l’ouvrage mènent à des analyses aussi fines qu’accessibles, permettant de situer théoriquement le propos comme de dérouler avec clarté les facettes du métier. D’autre part, il décode la complexité d’un monde décrit comme une « sorte de contre-société critique à l’égard de la réussite ostentatoire et individuelle ». Observant d’abord un « militantisme populaire » par l’apprentissage « corps et âme » de l’éthique pompier et une vie de caserne centrée sur la cohésion, l’auteur s’attache ensuite à décrire le reflet d’une société en crise sur cette profession. Ses « chroniques d’un pompier de terrain » malmènent l’image habituelle du soldat du feu, décortiquant ce qu’il appelle les « misères du monde » – des urgences plus sociales que vitales auxquelles les pompiers font de plus en plus face, parfois avec le sentiment d’être les « éboueurs » de la société. Une évolution qui, associée à un contexte d’insécurité économique et de précarisation des emplois, met ce service public « sous tension » et contribue à la « droitisation des classes populaires ». L’auteur s‘appuie sur sa propre expérience pour expliquer les raisons d’une « colère sociale qui gronde, de cette rage parfois, de ce dégoût pour la plupart des élites », quand « être pragmatique, c’est essentiellement décider que les classes populaires doivent payer le prix des évolutions contemporaines du capitalisme, de la mondialisation et de la concurrence généralisée ». Des raisons qui, selon lui, tiennent sur trois doigts : une offre politique médiocre, raciste et réactionnaire, des conditions de vie détériorées et précarisées, un mépris de classe de toute une partie des élites. Romain Pudal n’aborde que peu les minorités au sein de la profession. Ni misérabiliste, ni populiste, sa posture intellectuelle peut surprendre quand l’essentiel est de faire bon usage d’une trajectoire individuelle originale et émotionnellement éprouvante. Le tout pour mettre des mots sur le mal-être grandissant de la société dite « sans-voix ».

Charlotte Torretti
6 février 2017
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