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« Tous propriétaires ! » L’envers du décor pavillonnaire

Anne Lambert Seuil, 2015, 288 p., 20€

Les territoires périurbains ne sont-ils, comme l’avancent certains sociologues et géographes, que des zones résidentielles investies par des classes moyennes à la recherche d’un entre-soi protecteur ? La promotion politique d’un modèle de société fondé sur la petite propriété modifie-t-elle concrètement les conditions d’existence des classes populaires ? Pour répondre à ces questions, Anne Lambert a mené une enquête de terrain de trois ans dans un lotissement périurbain à trente kilomètres de l’est lyonnais, auprès d’une quarantaine de familles devenues propriétaires dans cet ensemble nouvellement construit. Croisant ses observations de terrain avec des enquêtes statistiques nationales, l’auteure retrace d’abord le « tournant libéral de la politique du logement » amorcé en France à la fin des années 1970, dont découlent les dispositifs actuels d’accession à la propriété (prêts à taux zéro, pass-foncier, etc.). Le premier apport de l’enquête est de nuancer l’image des lotissements périurbains comme un espace socialement homogène, peuplé de « petits blancs » de la classe moyenne. Elle met en évidence la cohabitation de ménages aux statuts socio-économiques et aux perspectives de mobilité résidentielle bien différents. Ainsi, derrière « l’uniformité des crépis » et la proximité spatiale, l’accession à la propriété n’efface pas les hiérarchies sociales, comme l’illustrent une certaine racialisation des rapports de voisinage ou encore un contrôle étroit de la sociabilité enfantine de la part des ménages de classe moyenne. Anne Lambert montre par ailleurs comment l’accès à la propriété dans un lotissement périurbain n’a pas le même coût pour les hommes et pour les femmes : l’éloignement des bassins d’emplois tertiaires élève considérablement le coût de la mobilité quotidienne, tendant à dissuader le maintien dans l’emploi des femmes peu qualifiées, qui se recentrent alors sur les tâches domestiques au prix d’un fort isolement. Le dernier chapitre de l’ouvrage s’interroge sur le lien entre habitat périurbain et attitudes politiques : ici encore, à rebours des thèses sur le supposé individualisme ou conservatisme politique des propriétaires de pavillon, la monographie d’Anne Lambert montre que l’accès à la propriété pavillonnaire ne « gomme » pas les autres déterminants sociaux et ne débouche que rarement sur des formes d’apolitisme. La thèse principale du livre est que les lotissements pavillonnaires actuels constituent des équivalents des grands ensembles d’habitat social des années 1960 : derrière la catégorie faussement unificatrice des « propriétaires », ils accueillent des individus et des ménages socialement hétérogènes, aux trajectoires résidentielles différenciées.

Très agréable à lire, « Tous propriétaires ! » apporte de précieux éléments empiriques face aux fausses évidences qui dominent parfois les débats sur la « condition périurbaine ».

Thomas Chabert
30 novembre 2015
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