Le mythe biblique du combat de Jacob avec l’ange au gué du Yabboq (Genèse 32) évoque le caractère ambigu de toute relation humaine authentique, qui associe toujours une blessure et une bénédiction. C’est à partir de cette image, et filant la métaphore, que le philosophe et historien de l’économie Luigino Bruni tente d’aborder les relations humaines dans le cadre de l’ordre économique du marché, au sein d’un monde postmoderne. L’individualisme de nos modèles sociaux et le mode contractuel qui évince les relations personnelles directes laissent penser que le marché ne peut déboucher que sur des blessures et des relations humaines en heurts permanents. Le paradoxe du manque de bonheur dans des sociétés dont le niveau d’opulence augmente en témoigne. Comment dès lors tenir une posture humaniste ? Quelles sources d’espérance trouver ? L’auteur soutient que le monde moderne persiste dans une vision trop manichéenne de l’économie de marché, au lieu de réinterroger son potentiel d’humanisation. En puisant dans l’héritage italien des expériences d’économie civile, en nous faisant découvrir des auteurs trop peu connus en Europe, comme l’économiste du XVIII^e siècle Antonio Genovesi, il montre que pour de nombreux penseurs, il n’y a pas de marché sans vertu et sans « bonheur public », quand bien même les individus recherchent leur intérêt personnel. Bien au contraire, le marché permet la réalisation de vertus civiles. Alimentant les sources anciennes de réflexions contemporaines sur les biens relationnels, Luigino Bruni poursuit sa démonstration pour souligner que le marché est bel et bien un terrain où peuvent coexister don et contrat, économie et société, intérêt individuel et relations humaines saines.