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La guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle

Edward P. Thompson La Découverte, 2014 [1975, trad. de l’anglais : Christophe Jaquet], 196 p., 15 €

Traduction partielle de l’ouvrage d’Edward Palmer Thompson intitulé Whigs and Hunters et paru en Angleterre en 1975, la Guerre des forêts propose une étude de la genèse et des répercussions socio-économiques et politiques de l’instauration du Black Act dans l’Angleterre du XVIIIe siècle. Promulguée en 1723, cette loi rend passible de pendaison le braconnage de gibier et de poisson, toute atteinte physique aux cerfs – réservés au roi et aux élites nobiliaires pour la pratique de la chasse – ainsi qu’une cinquantaine de délits ayant pour point commun de constituer des atteintes à la propriété dans les forêts royales. Historien marxiste réputé pour son analyse de la Formation de la classe ouvrière anglaise, Thompson analyse la mise en place de cette mesure au prisme d’une lecture en termes de lutte d’intérêts de classes. Deux conceptions du droit et des droits sont ici en concurrence : d’un côté, l’affirmation, par une classe en position de force depuis le sacre de Georges Ier, de son droit à l’appropriation et à l’accumulation de terres considérées comme inexploitées, dans le contexte de l’essor du capitalisme. De l’autre, l’indignation des classes pauvres qui habitent les forêts et qui ont toujours vécu du glanage de ses fruits, du pacage et plus occasionnellement de la chasse, autant de pratiques identifiées et revendiquées comme des droits d’usages hérités de la coutume, qui a alors valeur de loi. L’instauration du Black Act en 1723, le vote de l’Inclosure Act cinquante ans plus tard, qui systématise l’enclôture du foncier et met ainsi fin aux biens communaux, puis toute une série de dispositions législatives sanctionnent et traduisent la victoire des whigs. Cette instrumentalisation du droit par une classe dominante n’est jamais neutre, rappelle Thompson, mais fonctionne « à part entière comme idéologie ». Cependant, dans une conclusion consacrée au « rule of law » – expression justement traduite par « règne du droit » –, l’auteur dépasse cette lecture fonctionnaliste du droit. Réputé pour son empirisme et son engagement militant, Thompson se fait théoricien : « La condition première de l’efficacité du droit, dans sa fonction idéologique, est d’afficher son indépendance à l’égard de toute manipulation grossière, et donc de paraître juste. Il ne peut y parvenir sans affirmer sa propre logique et ses critères d’équité, c’est-à-dire sans être, à l’occasion, effectivement juste ». On comprend ainsi la position doublement marginale de Thompson, au sein de sa propre discipline, mais aussi par rapport à la tradition marxiste fonctionnaliste, vis-à-vis de laquelle il prend ses distances. La guerre des forêts est surtout un exemple frappant des luttes qui peuvent exister autour de la privatisation et de la marchandisation des biens communs : un rappel pour nous à l’heure, par exemple, où les conflits pour l’appropriation des réserves en eau se font de plus en plus nombreux.

Vianney Schlegel
31 mars 2014
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