Voici – aux yeux d’un militant européen en tous cas – un récit passionnant et paradoxal. Passionnant en ce qu’il retrace avec talent et précision, depuis l’immédiat après-guerre, les étapes contrastées de la construction européenne, interprétée comme un processus de délitement continu : ce serait l’histoire d’une union de peuples à la recherche de la paix, visant l’autonomie et la démocratie, mais glissant inexorablement vers l’alignement complet sur « un ordre mondial par le marché ». Et il est vrai que plusieurs « moments-clefs », tel que « l’échec fédéraliste de 1948 », l’imposition du plan Marshall, l’absence de réaction concertée au flottement généralisé des monnaies, puis à la libération financière, ou l’échec de tout effort d’Europe sociale solidaire, marquent l’incapacité quasi congénitale d’un ensemble de pays, devenus nombreux au fil des temps, à avancer harmonieusement vers un ensemble fédéral… Plus encore – in cauda venenum –, les rares institutions ou mécanismes tant soit peu contraignants ou efficaces (Banque centrale, Cour de justice, coordination économique par des critères chiffrés) manquent dramatiquement d’assise démocratique et d’approbation populaire ! Et pourtant ! La noirceur des descriptions, le pessimisme de la thèse font ressortir l’ampleur du paradoxe. Cahin-caha, par-delà les choix, les échecs et les crises, l’Europe vilipendée subsiste, voire se solidarise, face aux défis les plus pressants : crise économique et financière, climat, énergie, paradis fiscaux (mais pas encore mouvements migratoires !). L’intuition des pères fondateurs, en fait de méthode, était celle des « petits pas ». À cette aune, face à un « état du monde » totalement imprévu au départ, les avancées sont nombreuses et pas totalement décevantes !