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La parole judiciaire. Mises en scène rhétoriques et représentations télévisuelles

Émeline Seignobos De Boeck, 2011, 188 p., 24,50 €

Ce livre tombe à point : plus que jamais la justice pénale fait l’objet de vifs débats politiques et sociaux. Centré sur la rhétorique au sein de la cour d’assises, cet ouvrage (issu d’une thèse de doctorat) met en évidence la place des mots et de l’éloquence dans l’argumentation judiciaire. La rhétorique, au sens aristotélicien est « la faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader ». Aux assises, le procès consacre l’oralité et le débat contradictoire, chaque orateur cherchant à persuader l’auditoire de la légitimité de ses arguments. Même si l’on n’y plaide plus comme au XIXe siècle, à une époque où le « romantisme » le disputait aux éclats de voix et aux effets de manche, Émeline Seignobos entend démontrer que la rhétorique structure largement les prétoires et envahit l’espace médiatique et télévisuel. En témoigne la succession d’émissions consacrées aux procès criminels. L’histoire de l’éloquence judiciaire, héritée de la Grèce antique, invite à considérer cette rhétorique qui devient, en quelque sorte, l’antithèse de l’hégémonie de la procédure écrite. Face à cette parole insaisissable, l’auteure opte d’abord pour une reconsidération des archives à la manière d’une archéologie du savoir. Mais dans cette perspective, la fiction peut constituer un matériau livrant aussi ce qui se dit lors des assises. Le caractère contradictoire du débat en cour d’assises n’oblige-t-il pas à réinventer les faits et à les interpréter ? D’où l’intérêt pour des émissions telles que « Messieurs les jurés », « Intime conviction », ou « En votre âme et conscience ». L’auteure compare les émissions et repère leur logique argumentative. Elle analyse également le raisonnement des experts, des témoins et des avocats en cour d’assises, qui couvre à la fois les preuves techniques, logiques et objectives et les preuves morales et subjectives. É. Seignobos évoque la diversité des champs de la parole à propos du crime passionnel, du crime crapuleux ou encore du crime contre l’humanité (lors du procès Papon notamment). Art de persuasion, la rhétorique désigne l’identité princeps de l’avocat. Mais, du prétoire à la tribune politique, le passage est aisé à condition de changer de registre : l’orateur doit « modifier les termes de sa plaidoirie, en élevant le particulier d’un drame criminel au niveau du bien public, en calant le mouvement de son discours sur une autre spatialité et une autre temporalité » (p. 138). Ce fut le cas en 1972 lors du procès de Bobigny en correctionnelle, où la plaidoirie de l’avocate féministe Gisèle Halimi visait autant la défense de femmes accusées de soutien à l’avortement que la légalisation de cette pratique. Dans la lignée de ce déplacement du judiciaire vers la société, la parole de la victime occupe aujourd’hui une place de choix. Le procès en assises devient « le lieu autorisé d’un discours thérapeutique » (p. 166). Cet ouvrage est une contribution originale pour qui veut comprendre le fonctionnement de la cour d’assises dans ce qu’elle a de vivant, de tragique mais aussi d’incertain. S’y expriment en permanence les contradictions d’une justice en quête de vérité, tout en restant largement proche du vraisemblable, voire du doute.

Aziz Jellab
6 avril 2012
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