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Quel commerce équitable pour demain ? Pour une nouvelle gouvernance des échanges.

Véronique Bisaillon, Corinne Gendron et Arturo Palma Torres Fondation Charles-Léopold Mayer, coll. La couleur des idées, 2009, 252 p., 22 €

Corinne Gendron, Arturo Palma Torres et Véronique Bisaillon.

En plein développement aujourd’hui, le commerce équitable répond-il aux aspirations de justice qui l’ont fait naître ? C’est à cette question difficile, en raison de la complexité du mouvement qui le porte, qu’a cherché à répondre l’équipe dirigée par Corinne Gendron, Arturo Palma Torres et Véronique Bisaillon. Constituée autour de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, cette équipe réunit chercheurs et acteurs de terrain œuvrant au Nord comme au Sud. Cette collaboration fructueuse nous offre un panorama complet du monde du commerce équitable, alliant les expériences de terrain et visions d’ensemble. Au fil des sept chapitres, la présentation s’enrichit de nouvelles questions abordées avec la plus grande clarté, relevant les paradoxes et les défis auxquels le commerce équitable se trouve confronté.

Le but n’est pas de porter un jugement péremptoire. L’analyse est résolument constructive, ce dont témoignent les « dix propositions pour refonder le commerce équitable » proposées en fin d’ouvrage, fruit des insuffisances et des questionnements relevés au fil du parcours.

Un commerce vraiment équitable ?

Le succès du commerce équitable repose sur sa prétention à proposer de nouvelles règles des échanges mondiaux : c’est le petit producteur qui est mis au centre et l’on s’engage à lui verser un « juste prix » pour ses produits, et à lui offrir d’autres avantages devant lui garantir une existence meilleure.

Mais voici que nous découvrons que le « juste prix » est un prix établi de façon universelle, sans rapport donc avec les coûts réels des producteurs. De plus, il est resté fixe pendant près de vingt ans ! Ajoutons que ce prix est en fait payé à la coopérative, qui en retire ses frais propres et les coûts de labélisation, en constante augmentation. Pour les producteurs, le commerce équitable n’est en fait qu’un peu moins inéquitable que le conventionnel.

Nous apprenons encore que les plus marginalisés des petits producteurs sont exclus de l’accès à ce marché, en raison des multiples exigences de qualité de la part des distributeurs du Nord. Non sans question, nous rencontrons alors le concept de « niveau de marginalisation optimale », selon lequel il faut être suffisamment marginalisé, mais pas trop, pour être admis dans le circuit équitable : une version moderne du « bon pauvre » !

Pour autant, l’ouvrage ne stigmatise pas le commerce équitable ; il préconise de le réformer. Il invite à redéfinir les principes et les critères, et leur processus d’élaboration, grâce à une meilleure articulation entre les initiatives locales et les instances internationales.

Un nouveau modèle de développement ?

Au-delà de nouvelles règles commerciales, le commerce équitable entend fonder un nouveau modèle de développement, où le commerce remplace l’aide charitable : « Trade, not aid ». Malheureusement, il ne peut se passer ni de l’aide publique ni de l’appui des collectivités locales ou des États qui, par leurs actions de promotion et leurs achats, assurent la reconnaissance de sa légitimité. Surtout, son modèle de développement reste cantonné à l’exportation de denrées primaires sans transformation. On en connaît pourtant les limites et les effets désastreux, en particulier lorsque les cultures d’exportation se substituent aux cultures vivrières.

La gêne du lecteur se redouble lorsqu’il remarque, avec les auteurs, que la mainmise du Nord sur tout le processus reste totale. Dans la filière de labélisation, les acteurs du Sud sont bien peu présents dans les structures internationales qui définissent les critères de certification. Les acteurs du Nord sont aussi ceux qui continuent de percevoir la majeure part de la valeur ajoutée. D’où la proposition logique d’inverser ces tendances.

La dénonciation de ces déséquilibres entre le Nord et le Sud invite aussi à s’interroger davantage sur les enjeux du commerce équitable au Nord. La distorsion, par exemple, dans les exigences entre les producteurs (du Sud) et les transformateurs et distributeurs (presque uniquement du Nord) pénalise aussi en pratique les acteurs du Nord qui jouent pleinement le jeu équitable, au profit des grands distributeurs. Aujourd’hui, les labels ne s’intéressent que très peu à la qualité sociale du travail réalisé au Nord autour des produits équitables.

L’analyse débouche alors sur la nécessité pour le mouvement équitable de s’inscrire plus résolument dans une réflexion sur la consommation éthique et le développement durable - en particulier sur la question de la surconsommation -, alors qu’il est embarqué dans une logique de développement de la consommation. La question de l’éducation à la consommation est fortement soulignée.

L’appel au dialogue à partir d’un discours renouvelé

Le parcours ne serait pas complet sans une plongée dans la complexité du monde des acteurs en présence. En interne, le mouvement qui porte le commerce équitable est pluriel : déjà divisé entre filière « labélisée » et filière « intégrée » (qui certifie toute la chaîne), il a vu apparaître de nouveaux acteurs qui revendiquent une qualité éthique de leurs produits (comme dans le textile) en créant leurs propres labels. Cette multiplication des labels est encore accrue, en externe, par les grandes entreprises traditionnelles, qui entendent pouvoir définir à leur profit le caractère éthique des produits.

Nous prenons ici la mesure du défi à relever, à savoir la nécessité pour le commerce équitable d’un dialogue à la fois entre ses différentes composantes et avec les autres acteurs, afin d’unifier son discours et de l’inscrire dans une perspective plus large de consommation responsable. C’est tout le mérite de ce livre : il provoque le mouvement équitable à relever les défis de son devenir. A travers l’analyse exigeante d’une réalité en demi-teinte, il n’oublie pas les succès et la vitalité propre sur lesquels il lui est possible de s’appuyer.


Marc Dehaudt
17 mars 2010
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