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Retour sur la question juive

Elisabeth Roudinesco Albin Michel, 2009, 327 p., 20 €

Ce livre témoigne d’abord de la complexité conceptuelle et historique de ce qu’il est convenu d’appeler, depuis Marx et La question juive. Il l’éclaire avec pertinence et mesure – qui ne sont pas, dans la littérature sur le sujet (ne parlons pas des passions sur le terrain), les vertus les mieux partagées. Déjà il importe de bien distinguer entre l’antijudaïsme traditionnel de l’Église et l’antisémitisme moderne, même si le premier n’est pas pour rien dans le second, lui fournissant un arsenal de convictions fantasmées qui ne cesseront d’être récupérées par les antisémites des siècles récents. Par exemple, encombré par la difficulté théologique du sens de la présence continuée du judaïsme dans l’histoire, l’antijudaïsme chrétien tient le juif pour un ennemi très spécifique de l’Église, qui est à la fois dehors et dedans et, de surcroît appartient à un peuple ; sa « judéité », ne le quitte donc jamais, même quand il abandonne la foi juive ou s’il se convertit. D’où la difficulté de se débarrasser de l’image « essentialiste » du juif et des fantasmes autour d’une race, de traits intellectuels et spirituels, en grande partie négatifs, persistant chez le juif même quand il a renoncé à observer la loi et à appartenir au peuple juif. C’est typique à l’époque des Lumières, même si E. Roudinesco remet à sa juste place l’antijudaïsme de Spinoza ou de Voltaire. Elle reconstruit ensuite avec clarté la genèse de l’antisémitisme au XIXe siècle ainsi que celle du sionisme (avec Herzl), et finalement celle de la Shoah et de la naissance de l’Etat d’Israël. L’intérêt de cette réflexion historique est de mettre en lumière les conflits innombrables, entre juifs eux-mêmes, à propos de ces expériences historiques. Le « cas Freud », est exemplaire : il est émouvant finalement de voir ce grand juif totalement laïque, qui rejette avec détermination le judaïsme comme toute religion, en garder la mémoire à des moments cruciaux. Le dernier tiers de l’ouvrage est consacré à la fin du XXe siècle : le négationnisme de R. Faurisson, mais plus encore l’attitude de N. Chomsky (Roudinesco n’est pas tendre pour lui), l’expansion dangereuse de l’antisémitisme arabo-musulman, les débats récents en France et en Europe... Un parcours très vaste, clairement exposé, avec des engagements personnels de l’auteur pour la période récente : dans les conflits qui agitent toujours les milieux intellectuels, Roudinesco se méfie de ceux qui voient de l’antisémitisme partout. On note son opposition à la loi Gayssot (1990), qui permet de poursuivre et condamner les auteurs de propos négationnistes.

Jean-Louis Schlegel
1er juillet 2010
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