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Dossier : Climat : qu'attendre des entreprises ?

« J’ai mesuré à quel point les entreprises dépendent des personnes »

© Pere López / Wikicommons 	
Català: Escala de 9 dels Falcons de Vilafranca del Penedès a la trobada de Falcons de Catalunya durant les festes de la Mercè, a Barcelona, al Portal de la Pau
23 Septembre 2007
© Pere López / Wikicommons Català: Escala de 9 dels Falcons de Vilafranca del Penedès a la trobada de Falcons de Catalunya durant les festes de la Mercè, a Barcelona, al Portal de la Pau 23 Septembre 2007
Salariée d'une grande compagnie d'assurances, Amélie de Montchalin a vécu, de l'intérieur, comment un cyclone au Mexique a complètement changé la perception qu'avaient les salariés du « risque climatique ». Elle partage avec la « Revue Projet » les différentes étapes des changements et des chantiers à mener en interne, les difficultés comme les petites victoires.

Je travaillais dans une compagnie d’assurances présente dans le monde entier. L’enjeu climatique y est étudié et analysé de très près, en raison de l’impact direct sur l’activité d’assurance, comme tous les risques susceptibles d’engendrer des catastrophes naturelles de grande ampleur. C’est surtout après un cyclone au Mexique, que face au changement climatique, la prise de conscience a été profonde et collective dans mon équipe. Il avait touché une région qui n’en avait jamais connu auparavant ; un complexe hôtelier assuré par une de nos filiales a été complètement dévasté alors qu’il était situé dans une zone que les modèles ne considéraient pas comme dangereuse. Bien sûr, l’entreprise a fait son travail et a géré le remboursement. Mais l’impression qui nous est restée était que nous n’avions plus les outils pertinents pour bien comprendre et mesurer les risques en cours de développement. Nous avons ainsi entrepris de suivre les catastrophes climatiques qui sortent de la « normalité » statistique annuelle. Et nous avons estimé les pertes assurées à 1 milliard d’euros par an – à comparer aux 5 milliards de bénéfice net annuel. Ces catastrophes devenaient très significatives, humainement d’abord mais aussi financièrement !

Notre conscience personnelle, comme notre conscience d’entreprise, nous faisait bien percevoir qu’il y avait là un enjeu de civilisation qui nous concernait tous.

Notre conscience personnelle, comme notre conscience d’entreprise, nous faisait bien percevoir qu’il y avait là un enjeu de civilisation qui nous concernait tous. Mais un basculement s’est opéré lorsque l’entreprise s’est rendu compte du défi posé à son activité et sa pérennité. Le changement climatique n’était ainsi plus seulement un concept, mais une réalité mesurée par des chiffres. Dans ce contexte, cette question stratégique s’est fait jour : comment faire notre métier, comment se projeter pour que notre entreprise reste viable dans la transition écologique ? Une idée est souvent revenue à l’occasion de la Cop : un monde avec 2°C de plus reste assurable. Dans un monde avec 4°C de plus, avec la fréquence des catastrophes et la sévérité des conséquences, les assureurs ne pourront plus faire leur métier. Il ne s’agissait donc plus de faire de la philanthropie ou du mécénat, mais de revoir notre cœur de métier, et nos pratiques, afin de le rendre durable, adapté aux défis du changement climatique.

Cette prise de conscience collective a changé pour nous bien des choses. Nous avons fortement investi dans la modélisation du risque climatique, en prenant en compte aussi ses impacts en termes de santé et d’urbanisation. Cette analyse a conduit notre société à revoir sa politique d’investissement. Elle a décidé de se défaire de toutes les prises de participation dans des entreprises actives dans le secteur du charbon (minières ou électriques) et qui ne comptaient pas en sortir ou se diversifier. Elle a engagé un dialogue nouveau avec les entreprises dont elle était actionnaire sur leurs stratégies futures. Comment allez-vous changer et adapter votre activité ? Dans quel domaine allez-vous investir ? Pour les entreprises pétrolières ou gazières, il s’agit de choix décisifs. Mais pour les entreprises alimentaires, cela concerne l’accès à l’eau ou les circuits courts…

Il ne s’agissait plus de faire de la philanthropie ou du mécénat, mais de revoir notre cœur de métier, et nos pratiques, afin de le rendre durable, adapté aux défis du changement climatique.

Nous avons aussi participé à la Task Force sur les informations climatiques financières présidée par Michael Bloomberg, à l’occasion du G20. Et dernièrement, au groupe d’experts sollicité par la Commission européenne sur la finance durable. L’Europe est, finalement, le véritable échelon pour une définition de toute la régulation financière européenne. Mais elle tâtonne encore : comment peut-on intégrer un volet climat dans la régulation financière ? Comment les investisseurs doivent-ils prendre en compte le changement climatique et intégrer le long terme ? Comment casser les comportements moutonniers, qui privilégient l’opportunisme de court terme plutôt que la formation de convictions d’investissement durable ? Quant au règlementaire, ce que les financiers préfèrent le plus souvent pour répondre à la régulation financière, ce sont les obligations souveraines, c’est-à-dire la dette publique. Or nous aurons besoin de bien d’autres ressources pour réussir la transition écologique et énergétique qu’un financement public par la dette !

Pour résumer, notre entreprise a travaillé sur trois axes. Comme assureur, afin de mieux comprendre le risque du changement climatique et adapter ses pratiques. Comme investisseur financier, afin d’investir en cohérence avec la prise en compte du dérèglement climatique. Comme acteur internationalement reconnu dans son secteur, afin d’utiliser de son pouvoir d’influence pour que les acteurs qui n’auraient pas pris des décisions en ce sens y parviennent avec une redéfinition du cadre légal et politique.

Durant tout ce processus, j’ai mesuré à quel point les entreprises dépendent des personnes. En 2015, une réunion au sein de notre société était organisée sur le changement climatique : elle réunissait une cinquantaine d’ingénieurs, tous très cartésiens ! Quand on leur a annoncé qu’on allait parler du climat, ils ne sont pas sentis vraiment concernés : ils n’étaient pas des écologistes mais des ingénieurs, des actuaires, des analystes financiers…. Mais lors des échanges, ils ont découvert comment chacun d’eux était impliqué sur le sujet de manière différente mais tout à fait sérieuse : leur activité pouvait en être affectée ; les questions n’étaient pas anecdotiques. Un des dirigeants de l’entreprise a demandé : « Que feriez-vous face au changement climatique si vous étiez ambitieux ? » De nombreuses propositions ont été avancées… souvent très prudentes. À quoi a été répondu que nous ferions tout cela, en double et deux fois plus vite. Tous les participants se sont dit : « C’est sérieux ! »

Individuellement, dans nos entreprises, chacun sait qu’il y a plein de choses que l’on pourrait faire. Mais comment mobiliser ?

Individuellement, dans nos entreprises, chacun sait qu’il y a plein de choses que l’on pourrait faire. Mais comment mobiliser ? Organise-t-on des réunions avec tous les membres de son équipe opérationnelle en leur disant « Vous avez de bonnes idées, allez-y » ? Car ce ne sont pas les idées qui manquent, mais il est important de dire beaucoup plus fermement « Allez-y ! ». À un moment, un déclencheur est essentiel. Pour porter des initiatives en vue d’un impact positif sur la rentabilité financière à court terme, a-t-on besoin de recevoir un aval ? Non ! Sur le climat, on a encore besoin d’une petite tape dans le dos !

Dans les pays européens que j’ai visités, je constate une véritable prise de conscience, avec une mobilisation des entreprises, des syndicats, des journalistes. Mais cette prise de conscience n’est pas encore transversale : il y a ceux qui s’occupent de la finance, des voitures, des énergies... En France, le fait d’organiser la Cop nous a obligés à avoir une approche intégrée. Et je crois qu’un vrai changement de regard collectif sur le changement climatique s’est produit dans les milieux économiques et politiques.

Je suis devenue une des porte-parole de ces questions dans mon entreprise et j’ai été invitée à témoigner de cette expérience. Une récurrence revenait dans les retours qui m’étaient faits : « Vous en parlez comme pour n’importe quel autre sujet business ». En effet, il y a un enjeu de vocabulaire et de présentation. Bien sûr, la motivation profonde pour laquelle on souhaite opérer ces changements est celle des générations futures, de l’avenir de l’humanité… mais dès que l’on parvient aussi à expliquer l’équation économique, tous comprennent qu’ils ont déjà tous les outils en main. C’est un enjeu moral mais aussi économique : que vendrez-vous dans dix ans ? Qu’apporterez-vous, en tant qu’entreprise ? Quelles innovations soutiendrez-vous ?

Je crois qu’un vrai changement de regard collectif sur le changement climatique s’est produit dans les milieux économiques et politiques.

Il est notable que l’article 2 de l’accord de Paris, sur le secteur financier, ne dise pas « vous êtes les méchants » mais « vous devez intégrer la contrainte, et vous serez des acteurs essentiels de la réussite ». Si l’on évoque la responsabilité morale, souvent la moitié de la salle décroche : « ce n’est plus notre métier. » C’est parfois frustrant, mais adapter son vocabulaire permet d’introduire des sujets qui n’ont pas, de suite, une composante business évidente, en les rendant audibles et crédibles. Et si l’on se concentre sur le changement concret que l’on veut voir se produire, il y a déjà beaucoup à faire !

Propos recueillis au printemps 2017, par Martin de Lalaubie.

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