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Dossier : Démocratie en Afrique : quels défis ?

Afrique : quel sort réserver aux présidents déchus ?

Laurent Gbagbo (au centre), ancien président de la Côte d'Ivoire, comparaît pour la première fois devant la Cour pénale internationale de La Haye le 5 décembre 2011. Il est soupçonné de crimes contre l'humanité. ©AP Photo/Peter Dejong
Laurent Gbagbo (au centre), ancien président de la Côte d'Ivoire, comparaît pour la première fois devant la Cour pénale internationale de La Haye le 5 décembre 2011. Il est soupçonné de crimes contre l'humanité. ©AP Photo/Peter Dejong
Débat - En Afrique, plusieurs présidents arrivant au terme de leur mandat s’accrochent au pouvoir. La peur de perdre un statut, d’être poursuivi suffit-elle à expliquer cette attitude ? Comment favoriser des transitions démocratiques sereines ?

Pourquoi des dirigeants qui exercent le pouvoir depuis déjà plusieurs décennies s’y accrochent-ils encore si fort ?

Philippe Perdrix – Les termes du débat autour de la fin des régimes sont souvent caricaturaux. Les dirigeants sortants seraient autocratiques, prédateurs, adeptes de la mal gouvernance, les opposants naturellement vertueux et démocrates. L’histoire fourmille d’exemples d’opposants qui ont profondément déçu une fois au pouvoir. La question n’est pas tant qui exerce ce pouvoir, que comment on l’exerce. Malheureusement, il est encore souvent géré de façon exclusive en Afrique subsaharienne : tout pour ceux qui sont au pouvoir, rien pour les autres. Cette question concerne tant les détenteurs du pouvoir que les opposants : quand ces derniers, animés par un sentiment de revanche, n’apportent aucune garantie pour gouverner autrement, pourquoi l’alternance serait-elle vertueuse ?

Par ailleurs, on oppose volontiers impunité et menace de la Cour pénale internationale (CPI). Cette alternative sans nuance est mortifère ; elle n’offre aucune issue. Les positions de principe entraînent un raidissement de ceux qui sont en place et des embardées théoriques de leurs adversaires. On l’a vu récemment dans plusieurs pays comme la Côte d’Ivoire, le Burkina, le Sénégal, le Congo-Brazzaville, le Cameroun : des présidents se sont arc-boutés par goût immodéré du pouvoir ou appréhension de l’après-pouvoir. Il convient d’être plus pragmatique, d’analyser les rapports de force pour trouver des solutions crédibles, un consensus dynamique qui offre des portes de sortie aux uns et aux autres. Je ne défends pas les régimes en place – j’en connais les responsabilités et parfois les turpitudes. Mais le pouvoir est une drogue dure, il faut envisager des solutions pour permettre une désintoxication.

« Le pouvoir est une drogue dure, il faut envisager des solutions pour permettre une désintoxication. » (P. Perdrix)

De quoi les dirigeants ont-ils si peur ?

P. Perdrix – Ils ont peur de tout perdre : leur statut, leur train de vie, leur sécurité, celle de leur entourage et de leur famille. De nombreux cas d’alternance se sont accompagnés d’une véritable chasse aux sorcières ou d’une justice des vainqueurs. Quel signal est envoyé, par exemple, avec le procès de Karim Wade au Sénégal : invite-t-il les régimes en place dans d’autres pays à quitter sereinement le pouvoir ? Les sortants prennent des risques, comme l’illustre le cas ivoirien avec le procès de Laurent Gbagbo et de son entourage. Peu de pays disposent d’un statut permettant d’assurer la sécurité et le train de vie d’un ancien président. Que propose-t-on, par exemple, à Mamadou Tandja, à Amadou Toumani Touré ou à Abdoulaye Wade1 ? Continuera-t-on d’écouter l’ancien chef de l’État ? Pourra-t-il voyager ? Exercer des fonctions prestigieuses ? Être médiateur de crises en Afrique ? Il faut répondre très en amont à ces questions pour éviter les raidissements qui empêchent tout dialogue constructif. Et, au-delà des présidents, c’est leur entourage qui vit dans la crainte d’une destitution et qui exerce une pression très forte sur eux pour qu’ils restent en fonction. C’est sans doute l’une des explications à la volonté du président congolais Denis Sassou-Nguesso de rester au pouvoir et à la tentation supposée de son voisin Joseph Kabila d’en faire autant. Il convient de les rassurer et cet exercice doit reposer sur une forme de consensus politique au sein même des pays. Ce genre de discussion n’est pas rare en Afrique. Mais si les opposants se livrent à des embardées théoriques le jour, tandis qu’ils engagent des discussions avec le pouvoir la nuit, la démarche est hasardeuse et rarement fructueuse.

Quand on regarde le cas du Congo-Brazzaville, cette crispation autour du chef de l’État est-elle palpable ? Est-ce un facteur clé de sa pérennisation au pouvoir ?

Brice Mackosso – Le Congo-Brazza a déjà connu une alternance démocratique. L’ancien président [Denis Sassou-Nguesso, 1979-1991] n’a pas été emprisonné, ni aucune personne de sa famille pourchassée ou poursuivie. Il est paisiblement resté au Congo avec une garde et tous les moyens de l’État de 1992 à 1997.

Concernant les opposants, comment mettre leur bonne foi en question s’ils n’ont pas exercé le pouvoir ? Rien n’indique qu’ils commettront les mêmes erreurs. C’est le procès des dirigeants en place qu’il faut faire. C’est leur façon d’exercer le pouvoir qui a radicalisé les autres ethnies ! Et pour qu’il y ait réconciliation, une personne doit prendre l’initiative d’aller vers l’autre en reconnaissant ses fautes. Est-ce aux victimes de proposer le pardon aux bourreaux ? Il faut, en tout cas, distinguer les crimes économiques et les crimes de sang. La vérité reste à faire concernant les assassinats de Marien Ngouabi et d’un cardinal de l’Église catholique. Peut-on continuer à bâtir les nations africaines sur le mensonge ? Et demander aux parents des disparus du Beach2, à toutes les personnes emprisonnées et brimées, aux fonctionnaires qui sont privés de tout poste pour leurs idées, de simplement pardonner ? Ils attendent que la vérité soit faite. Ils attendent d’être reconnus comme victimes ou rétablis dans leur fonction.

Aménager une porte de sortie aux dirigeants actuels est certes nécessaire, mais c’est à eux de prendre l’initiative d’un dialogue autour du statut des anciens présidents et ministres. Il faut peut-être éviter de brandir la menace de la CPI et d’arrestations pour détournement de fonds publics, mais la repentance doit se doubler d’une pénitence : au minimum une mise à l’écart de la vie politique et une restitution des biens mal acquis. Faute de restitution, au moins partielle, l’impunité risque de s’institutionnaliser. Notre démocratie a bien démarré avec la Conférence nationale congolaise de 1991, mais l’erreur fut de ne pas sanctionner les dirigeants coupables de crimes.

On connaît le sort réservé à Mouammar Kadhafi ou Saddam Hussein. Des scénarios moins tragiques sont-ils possibles à la chute d’un dictateur ?

P. Perdrix – Tous les régimes africains ne sont pas des dictatures. Nous avons éventuellement affaire à des régimes autocratiques, à des démocraties imparfaites et lacunaires. Partout l’exercice du pouvoir implique un ego surdimensionné. N’est-il pas illusoire d’exiger d’un dirigeant qu’il demande pardon et fasse repentance ? Il ne s’agit pas de passer l’éponge sur les crimes de sang. Mais, dans la majorité des États, ce n’est quand même pas l’enjeu : nous avons plutôt affaire à des crimes économiques. Et même en France et aux États-Unis, il y a eu dans un passé récent des morts mystérieuses sur lesquelles la justice ne s’est jamais prononcée, alternance ou pas. Autre exemple : Mandela, en arrivant au pouvoir, a accordé le pardon aux Afrikaners. Sans oublier les morts, c’est lui qui a tourné la page, faisant preuve de pragmatisme et d’une grande responsabilité.

« Mandela a offert le pardon en échange de la vérité. Au Congo, aucune vérité n’est établie, aucun crime n’est reconnu. » (B. Mackosso)

B. Mackosso – L’Afrique du Sud est un modèle pour tous, mais le président Mandela a offert le pardon en échange de la vérité. Au Congo, aucune vérité n’est établie, aucun crime n’est reconnu. Nous ne demandons pas le détail sur la manière dont les crimes ont été commis, mais que les dirigeants les reconnaissent. Avoir été président de la République n’empêche pas pareille démarche. Aujourd’hui, c’est l’entourage de l’ancien président Pascal Lissouba qui est contraint à l’exil. Son ministre des Finances, Moungounga Nguila, est mort en exil. Bernard Kolélas [candidat à la présidentielle de 1992] n’a pas eu l’autorisation de rentrer au Congo. La justice est utilisée pour condamner les opposants. En 2006-2007, il m’a été interdit de quitter Pointe-Noire. J’avais simplement appelé à une gestion transparente des revenus du pétrole… Pourquoi cette même justice ne jugerait-elle pas les dirigeants actuels s’ils quittaient le pouvoir ?

Est-ce vraiment la crainte qui pousse les dirigeants à s’accrocher au pouvoir ?

P. Perdrix – Tout homme qui exerce le pouvoir appréhende le vide après. Même en France, s’il n’y avait pas de contre-pouvoirs, les dirigeants feraient tout pour rester en place. Il faut pouvoir envisager sereinement que les opposants deviennent des dirigeants et inversement. Or cette possibilité est loin d’être admise par les classes politiques subsahariennes. Les politiques pourraient prendre exemple sur les dirigeants de grande qualité que l’on voit émerger, en Afrique subsaharienne, dans le domaine économique, avec le sens de la responsabilité, du partage équitable des fruits du travail et des méthodes de gouvernance inclusive. Mais le personnel politique est souvent obnubilé par l’ascension sociale bien plus que par l’intérêt général et l’amélioration des conditions de vie des populations.

B. Mackosso – Le Congo-Brazzaville, producteur de pétrole, connaît depuis début décembre une pénurie d’essence à Pointe-Noire et à Brazzaville. Des quartiers comme le Plateau des quinze ans, à Brazzaville, manquent d’eau potable depuis plus de trente ans… Comment est-ce possible dans un pays aussi bien arrosé, quand les technologies qui donnent accès à l’eau sont peu coûteuses ? On stigmatise « les » classes politiques mais, dans certains pays d’Afrique centrale, n’est-ce pas un individu qui rend la vie difficile à tout un peuple ? Si un dirigeant a si peur de quitter le pouvoir, pourquoi ne prépare-t-il pas un dauphin au sein même de son parti ? Or même dans la majorité, personne n’émerge en dehors du président lui-même… On ne trouve que des personnes résignées. Des opposants ont tenté des démarches pour rassurer le chef de l’État sur sa sécurité une fois qu’il aura quitté le pouvoir. Mais bien plus que la peur, c’est l’envie de s’accrocher au pouvoir qui l’empêche de partir.

P. Perdrix – Arrivant à un âge canonique, exerçant parfois le pouvoir avec désinvolture, le chef a-t-il vraiment envie de s’y arc-bouter ? Souvent, c’est l’entourage qui exerce une très forte pression. Le dialogue doit impliquer les opposants et l’entourage au sens large. Faute de quoi, quand celui-ci est par ailleurs incapable de s’entendre sur la désignation d’un dauphin, le statu quo est la solution de facilité. C’est le cas à Brazzaville.

Des accusations de crimes de sang pèsent sur les régimes en place au Burundi, au Rwanda, au Congo, en RDC… Au Cameroun, l’armée a ouvert le feu sur les manifestants en 2008, faisant 150 morts. Au Tchad, des opposants ont été torturés. Comment affirmer le refus de l’impunité tout en rassurant les dirigeants ?

P. Perdrix – En dehors des contextes de guerre, les crimes de sang ne concernent pas la majorité des pays d’Afrique subsaharienne – du moins pas les pays où une alternance est envisageable avec des leaders de l’opposition suffisamment crédibles (pays d’Afrique de l’Ouest, peut-être aussi le Cameroun). La question n’en est pas moins compliquée. En Afrique du Sud, une solution a été trouvée malgré le nombre important de morts dans les geôles afrikaners. Poser la question en termes de repentance ou de pardon ne me semble pas raisonnable : il s’agit d’établir la vérité. Mais dans les pays où la confrontation est physique, où le respect des droits de l’homme n’est pas garanti, il est difficile d’envisager une alternance sereine et démocratique, par le jeu des élections ou du dialogue. Et dans de nombreux pays, les opposants ne parviennent pas à émerger, que ce soit en raison de l’oppression du pouvoir ou de leur propre défaillance. Au Congo-Brazzaville, par exemple, je ne vois pas de leader d’opposition accéder au pouvoir par les urnes.

B. Mackosso – La situation est malheureusement celle-là. Dans un pays comme le mien, les votes sont ethniques. Le président Sassou-Nguesso, qui vient d’une ethnie minoritaire du Nord du Congo-Brazzaville, ne peut pas gagner une élection démocratique. En 1992, il a été écarté dès le premier tour avec 17 % des voix, alors qu’il existait encore une unité du Nord. Depuis, les régions des plateaux et du Likouala se sont désolidarisées. Pour pouvoir se représenter, le président a dû modifier la Constitution. Nous avons assisté à un véritable coup d’État. L’état de siège a été déclaré, des hélicoptères de combat mobilisés, alors que l’opposition au référendum de révision constitutionnelle enflait depuis plusieurs semaines. Chose exceptionnelle au Congo-Brazzaville, les résultats étaient rendus publics en moins de quarante-huit heures, avec ces chiffres étonnants : 92 % de oui et 72 % de participation ! Alors que personne n’était allé voter ! En 2002, nous avons raté une bonne occasion de réaliser une alternance politique. Un début de réconciliation était né après les affrontements de 1997. Présentement, les populations du Sud du pays se radicalisent.

Des crimes de sang ont-ils pu être commis sans l’assentiment des régimes en place ?

P. Perdrix – Fréquemment, ce sont des lieutenants zélés qui commettent des dérapages. Même dans un régime autocratique, la chaîne de commandement au sein des forces de sécurité peut être de piètre qualité. La tête de l’État congolais était-elle au courant de tout ce qui se passait dans l’affaire des disparus du Beach, par exemple ? En RDC, c’est sans doute un lieutenant qui a pris l’initiative d’assassiner Floribert Chebeya3, ou qui l’a tué suite à une bavure.

Et en janvier 2015, quand les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur la foule à Kinshasa ?

P. Perdrix – Le faible niveau des forces de l’ordre explique souvent ce genre de drames et ces violences. Mais si le « chef » révoque trop de personnes, il fragilise son pouvoir.

B. Mackosso – La responsabilité des crimes incombe in fine à ceux qui sont à la tête du pouvoir. Au Cameroun comme au Congo-Brazzaville, certains sont des tueurs reconnus. Dans ma ville, l’un d’eux a l’habitude de se rendre dans les familles de ses victimes pour leur interdire d’organiser des funérailles. Récemment, il a dispersé à coups de feu des opposants qui prenaient part à un meeting. Or c’est un policier bien connu.

Les puissances étrangères peuvent-elles jouer un rôle utile dans ce type de transition ?

P. Perdrix – Elles peuvent envoyer des messages, établir des passerelles de dialogue, émettre des propositions. Mais surtout pas sur le mode de la feuille de route ou, pire, du diktat. C’est aux classes politiques de trouver leurs propres solutions. Les Églises peuvent être un facteur important de modération. La médiation de pairs africains est aussi utile : l’Angola et l’Afrique du Sud ont un rôle important à jouer pour trouver une solution en RDC. Au Mali comme au Burkina Faso, les pays voisins ont voulu contribuer, mais ce fut en vain. La solution pour la Centrafrique, qu’on le veuille ou non, passe par N’Djaména [capitale du Tchad] et Brazzaville.

En revanche, si les ONG internationales peuvent favoriser l’émergence d’une société civile, elles n’ont pas à intervenir dans le jeu politique. Or elles adoptent souvent des postures anti-pouvoir, finissant même par discréditer les opposants, qui se coupent des populations en termes de positionnement politique. Elles feraient mieux de laisser les classes politiques trouver leurs propres solutions avec les sociétés civiles, dans un processus entièrement endogène. Les ONG n’ont rien à faire sous l’arbre à palabres !

« Les ONG internationales n’ont pas à intervenir dans le jeu politique. » P. Perdrix

B. Mackosso – En Afrique, les puissances étrangères défendent leurs intérêts économiques et leur poids diplomatique : aux Nations unies comme à la Cop21, elles ont besoin de quelques pays qui s’alignent sur leurs positions. L’incapacité de l’Europe à dégager une position commune sur les changements de constitution en Afrique brouille les pistes et renforce finalement les dirigeants en place. Les pays voisins ne m’inspirent pas davantage confiance : ils se pressent au chevet d’un autre pays pour des raisons de visibilité sur la scène internationale, comme le Tchad en République centrafricaine. Au Congo-Brazzaville, ils financent alternativement des rebelles ou des colloques sur la paix…

Surtout, il nous faudrait cesser de discuter éternellement de ces questions. En RDC, plusieurs accords ont été signés entre les dirigeants et les factions rebelles. Pour le Burundi, des accords avaient été signés à Arusha. Le Congo-Brazzaville a connu la Conférence nationale souveraine de 1991. Or les résolutions auxquelles on est parvenu sont sans cesse remises en cause. Doit-on recommencer un cycle de négociations interminables chaque fois qu’un chef d’État doit quitter le pouvoir ?

P. Perdrix – Était-il opportun de placer ce verrou de deux ou trois mandats dans les constitutions africaines ? On a créé des situations ingérables. La duplication d’un modèle occidental en Afrique est une bêtise. Comment passer à un suffrage universel direct et à des alternances paisibles sans prérequis ? Sans une presse et une justice libres et indépendantes, une police républicaine et une société civile solide, vouloir organiser à tout prix des élections libres et transparentes témoigne d’une immense naïveté. C’est ce hiatus que vit aujourd’hui l’Afrique centrale : les conditions ne sont pas réunies, mais on pousse les pays vers des processus électoraux qui conduisent vers une forme d’impasse. On met la charrue avant les bœufs ! Il convient d’être plus imaginatif. Les gouvernements d’union nationale sont-ils une solution ? On est alors dans l’inclusif, avec le chef traditionnel qui redistribue à tout le monde. Le suffrage universel direct, avec une alternance tous les dix ans, n’est-ce pas le modèle des blancs ? Correspond-il aux désirs des sociétés civiles africaines ?

B. Mackosso – Je récuse cet argumentaire. En Afrique, le chef traditionnel est exemplaire, juste envers tous, le garant de la vie de tout le monde. Il ne tue ni ne pille ses concitoyens. Ceux qui veulent passer aujourd’hui pour des chefs traditionnels n’adoptent pas le comportement correspondant. Il n’y a pas de démocratie à l’africaine. La démocratie est une et universelle. Les Africains s’accommodent au modèle économique européen et ils ne pourraient pas s’accommoder à la démocratie ? Je trouve cela injurieux. L’Africain ne serait pas capable de respecter une loi ?

« Il n’y a pas de démocratie à l’africaine. La démocratie est une et universelle. » (B. Mackosso)

P. Perdrix – La notion de démocratie universelle n’a aucun sens. Les pays d’Amérique latine et centrale ou d’Asie de Sud-Est offrent d’autres modèles. On n’y vit pas la démocratie de la même façon qu’en Europe. Même en Europe, il y a bien des nuances dans la vie démocratique, selon les pays. Les puissances occidentales ont voulu imposer un système unique à certains pays subsahariens dont le substrat ne pouvait pas répondre à ce cahier des charges. Je n’ai pas utilisé l’expression « démocratie africaine » mais, si elle advenait, ce ne serait pas une démocratie au rabais. Nous avons tort de définir la démocratie avec comme seul critère la possibilité pour un opposant d’accéder au pouvoir. La démocratie, cela signifie avant tout que chacun puisse vivre en paix et en sécurité, dire librement ce qu’il pense et participer à la vie de la cité. Un gouvernement d’union nationale avec un chef qui gère son pays sans faire de fracas, ce n’est pas une démocratie au rabais.

B. Mackosso – Je trouve dangereuse cette formule de « gouvernement d’union nationale ». La démocratie, c’est la compétition pour le pouvoir. Elle suppose évidemment la liberté et d’autres prérequis que vous avez mentionnés. Mais quand un dirigeant sait qu’il n’a de comptes à rendre à personne, il prend de mauvaises habitudes. L’Occident aurait imposé la démocratie à l’Afrique ? Comme si les peuples africains n’avaient pas soif de liberté ! En France, je suis heureux de pouvoir m’exprimer librement. Au Congo-Brazzaville, je dois peser chaque mot.

Quelle est la portée du prix décerné par la Fondation Mo Ibrahim aux dirigeants africains « vertueux » ?

P. Perdrix – C’est une très bonne initiative. C’est par l’exemplarité que l’on peut faire avancer les choses. Mo Ibrahim est soudanais : ce n’est ni Bill Gates, ni Tony Blair. Ce n’est pas non plus le classement « Doing business » de la Banque mondiale. Après avoir réussi dans les affaires, il exerce une forme de pression amicale pour une meilleure gouvernance, à la fois sur le plan politique et économique. Il envoie aux dirigeants africains le message qu’il est possible de quitter le pouvoir et qu’une meilleure gouvernance politique contribuera aussi à améliorer l’environnement des affaires.

B. Mackosso – Il manque à la Fondation Mo Ibrahim un classement comparable à celui de Transparency International pour désigner les premiers et les derniers des pays d’Afrique en matière de bonne gouvernance, afin que les derniers soient rejetés dans les milieux d’affaires et diplomatiques.

Propos recueillis par Jean Merckaert et Jacques Nguimbous, le 4 décembre 2015 à Paris.

Tournons la page
« Tournons la page » est un mouvement citoyen qui regroupe des membres de la société civile, en Afrique et en Europe. Il a pour ambition de rassembler au-delà des clivages politiques, ethniques ou religieux, en vue de construire et de faire vivre les conditions d’une véritable démocratie sur le continent africain. À l’issue de l’appel « Tournons la page » d’octobre 2014, signé par des intellectuels et organisations d’une trentaine de pays, des coalitions nationales « Tournons la page » ont vu le jour au Cameroun, au Congo-Brazzaville, en France, au Gabon et en République démocratique du Congo.



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1 Mamadou Tandja a été président du Niger de 1999 à 2010, Amadou Toumani Touré président du Mali de 2002 à 2012 et Abdoulaye Wade président du Sénégal de 2000 à 2012 [NDLR].

2 « Entre le 5 et le 14 mai 1999, des Congolais (du Congo-Brazzaville) réfugiés du fait de la guerre civile dans la région du Pool ou en République démocratique du Congo (RDC), sont revenus vers Brazzaville par le port fluvial, suite à la signature d’un accord tripartite entre la RDC, la République du Congo et le Haut Commissariat aux réfugiés, définissant un couloir humanitaire censé garantir leur sécurité. À leur arrivée à Brazzaville, des centaines de personnes ont été arrêtées par des agents publics pour interrogatoire et ont disparu, sans que l’on sache, encore aujourd’hui, ce qui leur est arrivé. » Source : site de la Ligue des droits de l’homme (www.ldh-france.org).

3 Floribert Chebeya, militant congolais (RDC) des droits de l’homme, a été retrouvé mort dans sa voiture en juin 2010. La veille, il avait été convoqué pour rencontrer le chef de la police, le général John Numbi. En septembre 2015, à l’issue du procès en appel, seul un des policiers a été condamné (15 ans de prison, contre la peine de mort en première instance), les quatre autres accusés ayant été acquittés. Le général n’a lui jamais été appelé à comparaître [NDLR].


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