Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : François, la fraternité sans frontières ?

Personne ne se sauve seul

© Bilal Zoba/JRS France
© Bilal Zoba/JRS France

Au Secours Catholique-Caritas France, la « révolution fraternelle » n’est pas qu’un slogan. Elle résulte d’un choix politique d’appréhender l’avenir à partir des personnes en précarité.


Bien que gravée dans notre devise républicaine, la fraternité est aujourd’hui menacée. La fraternité universelle en tout cas. De plus en plus, ce sont des fraternités fragmentées, voire concurrentes, qui semblent émerger (fraternité de classe, de religion, d’origine…). Celle-ci est même niée, quand le principe d’hospitalité à l’égard des exilés est remis en cause et que la solidarité devient un délit : il a fallu que le Conseil constitutionnel, en 2018, réaffirme la fraternité comme « principe à valeur constitutionnelle » pour mettre fin à des dérives xénophobes dangereuses.

Vivre la fraternité au quotidien est l’essence même de notre projet au Secours Catholique-Caritas France. Cette résolution n’a rien d’évident, mais elle résulte d’un choix de vie, d’une décision venue d’acteurs très différents, salariés ou bénévoles, riches ou pauvres, exilés ou français, chrétiens, athées ou musulmans. Tous et toutes veulent faire l’expérience d’une vraie rencontre. Ce défi n’est pas lancé à la légère : il est celui de tout un réseau national. La fraternité se vit au sein de plus de 3 500 équipes locales, au sein d’accueils de jour où se pressent les migrants les plus fragiles, dans les Maisons des familles ou à l’occasion de voyages de l’Espérance1.

À travers des échanges simples autour d’un café, d’un jeu, d’un atelier artistique, ce sont des préjugés et des peurs qui tombent. Ce ne sont plus « eux », les migrants qui envahissent « mon monde », ou « eux », les pauvres qui se complaisent dans l’assistance. Ce sont des personnes, des regards, un prénom, une tranche de vie partagée – souvent douloureuse – qui a conduit à l’exil, la découverte d’un être unique qui me ressemble comme un frère.

On redécouvre la richesse de l’altérité et la joie qui naît de cette « culture de la rencontre », si chère au pape François et dont le Secours se veut le laboratoire. La crise sanitaire a accentué l’isolement des personnes fragiles, et nos équipes ont déployé des trésors d’imagination pour garder le lien et rompre la solitude. Ici, un Fraternibus a sillonné les campagnes à la rencontre des personnes très isolées ; là, un Frat’café a permis de se retrouver entre voisins ; ailleurs, c’est un « Café sourire » où chacun peut se sentir accueilli parce qu’unique.

La fraternité est aussi une expérience spirituelle. À travers des relations gratuites et joyeuses, la confiance peut renaître : en l’autre, en soi, en l’avenir. Ces vies cabossées, brisées parfois, par la misère, la violence, l’exil, ces vies en miettes reprennent du goût et du sens dans le regard de l’autre. Dans l’ordinaire de relations fraternelles très incarnées, les personnes les plus fragiles trouvent un havre de paix et peuvent renouer avec la profondeur de leur être spirituel, ce lieu d’où jaillit notre élan vital. Souvent, au fil des jours, on les voit reprendre pied, retrouver en elle ce ressort qui leur permet de relever la tête pour continuer leur chemin et résister à la misère et à l’exclusion.

La fraternité constitue enfin une exigence de justice. Dès lors que l’on se sent frère de quelqu’un, comment ne pas être poussé à agir ? Puisque, pour ses frères, on veut la justice, on n’accepte pas qu’ils soient à la rue, humiliés, brutalisés. La fraternité et l’amitié avec les pauvres poussent à l’intranquillité et finalement à l’engagement pour un choix de société plus juste. Tous les jours, des violences vis-à-vis des migrants devraient susciter notre indignation comme celle de l’évêque d’Arras, Mgr Leborgne, qui, après une longue visite à Calais, osait déclarer que « les exilés [y] sont moins bien traités que des animaux ».

Mais il y a aussi cette violence ordinaire et invisible vis-à-vis de toutes celles et ceux qui sont contraints à des choix impossibles en raison de revenus trop faibles : se soigner, se loger ou se nourrir ? C’est pour tous ceux-là, pour le respect de leur dignité, que nous devons sans relâche porter un plaidoyer vigoureux pour un monde plus juste. Il s’agit bien là d’une révolution appelant à renoncer à ce que l’argent gouverne le monde, à stopper le pillage de la planète, à refuser l’augmentation folle des inégalités entre les humains et entre les pays. Le monde marche sur la tête, comme le dit le bon sens populaire. Il faut le remettre à l’endroit ! Par une révolution pacifique et fraternelle, mais urgente, qui rassemble tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Car « personne ne se sauve seul. Il n’est possible de se sauver qu’ensemble », comme le souligne fortement le pape François.

Pour aller + loin

Véronique Fayet, Révolution fraternelle. Le cri des pauvres, Indigène éditions, 2019

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Aux origines du patriarcat

On entend parfois que le patriarcat serait né au Néolithique, près de 5 000 ans avant notre ère. Avant cela, les femmes auraient été libres et puissantes. Les données archéologiques mettent en doute cette théorie. De très nombreux auteurs, de ce siècle comme des précédents, attribuent la domination des hommes sur les femmes à l’essor de l’agriculture, lors du Néolithique. Cette idée est largement reprise dans les médias, qui p...

Du même dossier

Pour une politique de la fraternité

À l’approche de l’élection présidentielle, alors que l’instrumentalisation du message évangélique à des fins politiques menace directement l’État de droit, l’instauration d’une véritable politique de la fraternité constitue pour l’avenir un défi majeur. 1 L’Évangile à la carteCe dossier invite à prendre au sérieux la parabole du bon Samaritain qui, reconnaissons-le, se prête à une plur...

Fraternité, républicaine et biblique

Spécialiste des questions d’attachement et de déliaison, le philosophe Olivier Abel nous invite à repenser les frontières de la fraternité. S’appuyant sur la lecture par Paul Ricœur de la parabole du bon Samaritain, il appelle de ses vœux une fraternité à la fois biblique et républicaine. Face aux citoyens de religion protestante réunis à l’Hôtel de Ville de Paris, Emmanuel Macron, à l’automne 2017, les appelait à « ...

Parabole subversive

« Qui est mon prochain ? » La parabole du bon Samaritain invite les chrétiens à se poser cette question centrale et difficile. Si l’interprétation du pape François appelle à une fraternité universelle, d’autres estiment qu’elle ne saurait s’appliquer aux États. La place donnée à la parabole du bon Samaritain par le pape François ne se réduit pas au deuxième chapitre de l’encyclique Fratelli tutti, où il en dével...

Du même auteur

Le garant de la fraternité

Nombre de questions sociales ne relèvent plus de l’échelon municipal. Les départements auraient-ils siphonné le pouvoir du maire ? Non. Car en tant qu’acteur local de référence, ce dernier doit veiller à ce que chaque citoyen accède à ses droits. Le maire est souvent le dernier recours de ceux qui se sentent oubliés. La crise des « gilets jaunes » et le grand débat ont particulièrement mis en évidence la figure emb...

Qui a peur de la participation ?

Comment dépasser les injonctions à la participation ? Pourquoi est-il si difficile de prendre en compte l’apport de chacun à la vie de la cité ? Quelles dynamiques sont à l’œuvre ? Regards croisés entre le monde associatif et le monde de la recherche. À quel moment de votre parcours vous êtes-vous intéressés à la participation ou à l’empowerment ? Comment cela se concrétise-t-il, aujourd’hui, dans votre quotidien ?Marie-Hélène Bacqué - Dans les années 2000, j’ai étudié les quartiers populaires e...

[VIDÉO] « Une fois les charges payées, il reste 58€ pour vivre. »

Pourquoi le Secours catholique, engagé auprès des plus pauvres et contre les inégalités, se préoccupe-t-il d'écologie ? Véronique Fayet, sa présidente, répond en ouverture du colloque "Réduire les inégalités : une exigence écologique et sociale". Et pousse un mémorable coup de gueule sur le sort réservé aux migrants à Calais. Nous sommes le jeudi 16 février 2017 au Conseil économique, social et environnemental, à Paris. L’amphithéâtre est plein à craquer pour l’ouverture du colloque « Réduire le...

1 Les voyages de l’Espérance du Secours Catholique sont des séjours coorganisées par des personnes vivant en situation de pauvreté, des bénévoles et des animateurs de l’association.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules