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Une solidarité en miettes. Socio-histoire de l’aide alimentaire des années 1930 à nos jours

Jean-Pierre Le Crom et Jean-Noël Retière Presses universitaires de Rennes, 2018, 314 p., 24 €

Après les États généraux de l’alimentation et la discussion de la loi sur l’alimentation, ce livre arrive à point nommé. Se mettre à l’écoute de l’histoire nous fait percevoir les défis auxquels nous devons faire face. Aujourd’hui, en France, près de 5 millions de personnes subissent l’aide alimentaire d’urgence. Comment en est-on arrivé là ?
L’aide alimentaire s’est « métamorphosée ». D’une aide majoritairement publique, nous sommes passés progressivement à une aide majoritairement privée ; d’un bénévolat issu d’une certaine catégorie sociale de la société et mû par des valeurs charitables, à un bénévolat beaucoup plus professionnalisé, ce qui n’est pas sans poser des questions dont celle d’avoir une approche plus gestionnaire.
Ce livre se concentre sur l’expérience nantaise mais il est révélateur de ce que l'on peut observer ailleurs en France. De nombreux passages s'appuient sur les comptes-rendus de réunions associatives (notamment des conférences Saint-Vincent de Paul), pour illustrer son propos. Cependant, l’étude est bien plus précise sur les périodes anciennes que sur les plus récentes. Nous découvrons ainsi les acteurs associatifs, leur particularisme et leurs motivations. Certaines formules sont inspirantes, comme celle-ci : « L’épreuve de celui qui reçoit importe plus que la béatitude de celui qui donne ».
On reste cependant quelque peu sur sa faim pour la période récente pourtant annoncée par le titre ; et surtout, devant la quasi-absence d'une parole des premiers concernés, les personnes en situation de précarité alimentaire. S'ils les nomment, les auteurs ne leur donnent guère la parole, comme si elles ne s'étaient pas exprimées durant toutes ces années. Aussi bien pourrait-on poursuivre ce livre : comment cette aide peut-elle mettre à mal l’émergence d’une conscience collective favorisant la mise en place d’un réel droit à l’alimentation ? C’est d'ailleurs ce qu'indique le titre : la solidarité en France vaut mieux que les miettes d’un repas pour ceux qui n’y sont guère conviés. Quand les acteurs parlent de droit à l’aide alimentaire, les auteurs rappellent : « Ce droit se manifeste sous la forme dégradée d’un accès universel à des prestations de survie : une solidarité certes mais en miettes ». Et de conclure : « tout se passe, en effet, comme si les associations d’aide alimentaire, 'mises en réseau' avec les travailleurs sociaux de secteur, se voyaient investies, par l’État social, du rôle de voiture-balai ».
La loi sur l’alimentation ignore le droit à l’alimentation ! Ce livre ouvre une brèche, mais d’autres seront salutaires pour prendre conscience de la nécessité de penser le changement dans le champ de la précarité alimentaire, enjeu démocratique d’importance comme plus largement celui de la pauvreté.

Claude Bobey
19 juin 2018
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