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« Eichmann était d’une bêtise révoltante ». Entretiens et lettres

Hannah Arendt et Joachim Fest Fayard, 2013 [trad. Sylvie Courtine-Denamy], 240 p., 20 €

Nous disposons désormais en français des échanges entre Hannah Arendt, auteure des Origines du totalitarisme et d’Eichmann à Jérusalem (plus controversé), et Joachim Fest, journaliste allemand et historien du nazisme. L’ouvrage rend compte d’un échange qu’ils eurent à la radio bavaroise en 1964 et de leur correspondance (1964-1973). Il comporte aussi un texte de 1963 du Conseil des Juifs d’Allemagne, une contribution de Mary McCarthy défendant son amie Arendt. Enfin, grâce à la traductrice française, cette édition inclut un texte sur la question du mal en Allemagne. Au centre de tous ces textes, l’on trouve donc l’ouvrage d’Arendt Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (publié en 1963 aux États-Unis, en 1964 en Allemagne, en 1966 en France). Il a suscité, aux États-Unis puis en Allemagne, une immense controverse dont témoigne la vaste bibliographie de cette publication. Cette polémique a d’abord porté sur la mise en cause par Arendt des conseils juifs qui ont collaboré à l’entreprise de mort des nazis en demandant aux Juifs d’obéir aux ordres. La controverse porte ensuite sur la qualification de « banal », alors qu’on pense plutôt au caractère démoniaque des actes de celui qui a travaillé à l’acheminement de millions de Juifs vers les camps de concentration, sans avoir lui-même tué de ses mains. Arendt précise qu’elle s’est voulue objective : bien que juive, elle n’a pas voulu cacher le scandale que fut pour elle la découverte du rôle des conseils juifs. Sans leur collaboration, les nazis n’auraient pas pu rassembler ainsi les victimes. Arendt s’appuie sur le travail de Raul Hilberg : La destruction des Juifs d’Europe (Fayard, 2007). On dispose ainsi également en français du livre Exécuteurs, victimes, témoins, (Folio, 1994). La seconde controverse est toujours d’actualité dans les études sur le nazisme (cf. David Cesarini, Eichmann, Tallandier, 2010). Pour Arendt, la « banalité du mal » n’est pas une théorie ou une doctrine, mais le résultat de l’expérience de son procès. Eichmann, dit-elle, n’avait rien d’un Richard III de Shakespeare, animé par la volonté de faire le mal par principe. Il « fonctionnait » au sein d’un système où la loi était : « Tu tueras ». Il a exécuté les ordres. Sa bêtise est celle d’une absence de pensée, de son incapacité à se mettre à la place de l’autre. Le génocide administratif, de bureau, qu’a commis Eichmann est bien sûr extrême. On ne saurait le banaliser au sens commun de ce mot, mais l’on doit comprendre comment un mal épouvantable peut être commis par des gens ordinaires. C’est l’idée développée par Daniel Goldhagen dans son best-seller : Les bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et l’Holocauste (Seuil, 1997). Mais Cesarini n’est pas d’accord avec Arendt et donne des exemples de la cruauté d’Eichmann dans son rapport avec les chefs juifs. Au total, un livre éclairant pour approfondir les études sur le nazisme, pour lequel on conseillera aussi les ouvrages de Ian Kershaw disponibles en français.

Jacques Rollet
10 janvier 2014
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