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Dossier : Risque et précaution

Risque et sécurité sur la route


En France, le bilan peu enviable de la sécurité routière tient en partie à un consensus qui tend à éviter toute forme de contrainte limitant le libre usage de la voiture. Le conducteur se considère capable d’estimer lui-même les risques encourus, et exige en même temps une protection collective. Face à ce paradoxe, éducation et contrôle sont nécessaires.

La sécurité routière est le reflet de l’attitude ambivalente de nos sociétés face aux risques. « Conduite » paradoxale, en effet, qui traduit le conflit entre l’affirmation de sa liberté individuelle et l’exigence d’une garantie collective de protection. La voiture est le prolongement de la sphère privée, donc à la fois protectrice et permissive. La volonté des individus de prendre des risques pour eux-mêmes est très rare. Cette sorte de défi face à la vie qui pousse à frôler les limites est plutôt l’expression d’une marginalité. On a l’habitude de dire que la majorité des accidents ont lieu dans des circonstances très ordinaires avec des gens ordinaires. Mais il faut se méfier en reprenant ce constat, car il peut conduire à banaliser le risque. Beaucoup ont tendance à penser qu’il y aura toujours un résidu de risque qui serait la conséquence inévitable de tout déplacement. Surtout dans un système non professionnel donc peu organisé, composé d’acteurs multiples aux caractéristiques et aux objectifs différents, interagissant sur un réseau dont les fonctions sont elles-mêmes multiples. Le diagnostic n’est pas faux, néanmoins les attitudes individuelles et collectives peuvent fortement moduler ce risque. Et nous sommes encore très loin d’avoir atteint ce résidu supposé irréductible, comme le montrent à l’évidence les comparaisons internationales. La Suède, dont les performances en matière de sécurité routière sont bien meilleures que celles de la France, a adopté une « vision zéro » prenant en compte la sécurité dès la conception de chacun des éléments du système. Même si on sait que l’on arrivera jamais à supprimer tous les accidents, ce choix témoigne d’une politique volontariste de responsabilisation à tous les échelons, à laquelle adhère une grande partie de l’opinion.

Un bilan peu enviable

Parmi les pays industrialisés d’Europe de l’Ouest comparables, la France fait malheureusement partie du peloton de tête pour le nombre d’accidents. Si l’on calcule le nombre d’accidents par centaine de millions de kilomètres parcourus1, on constate que nous nous trouvons aujourd’hui au niveau de la Grande-Bretagne il y a environ dix ans. Mais les Britanniques ont vu pendant cette période leurs taux baisser dans les mêmes proportions et l’écart relatif est resté presque le même : il y a deux fois moins de tués au kilomètre parcouru outre-Manche qu’en France.

Comment expliquer un tel écart ? Naturellement, les comparaisons doivent tenir compte des différences de composition des parcs automobiles (pourcentage de deux-roues), et surtout du réseau routier : 50 % des tués sur la route dans notre pays le sont sur le réseau secondaire, qui est le plus développé d’Europe. Autre chiffre parlant : 70 % des accidents ont lieu en agglomération, mais seulement 30 % d’accidents mortels. La Grande-Bretagne, beaucoup plus urbanisée que la France, connaît en ce domaine une situation plus favorable...

Malgré ces correctifs, la France a un taux d’accident trop important par rapport à ses voisins et l’explication est à chercher ailleurs. Il n’y a pas de raison qu’avec un parc automobile et un réseau routier dont nous n’avons pas à rougir, nous ayons des résultats aussi médiocres. Il est donc naturel de mettre en cause le comportement des conducteurs français et, au-delà, la politique de sécurité routière. Or, dans sa globalité, et malgré la détermination de ses responsables, la politique française de sécurité routière est plutôt timide et n’a ni mobilisé de gros moyens, ni obtenu une adhésion massive du corps social et des principaux acteurs concernés. On constate même que le respect de la réglementation est plutôt en régression, en particulier en ce qui concerne les vitesses2.

Un consensus robuste : former, éduquer, responsabiliser plutôt que réprimer

Il existe dans l’opinion et jusque chez certains décideurs un consensus extrêmement robuste, articulé en quelques points : mieux vaut prévenir que guérir, il faut mieux former les conducteurs, et il faut les responsabiliser.

Ceci n’est guère contestable, mais signifie implicitement que l’on ne souhaite pas une politique répressive dure, et que l’on accepte de laisser au conducteur une grande liberté d’appréciation, sa formation et son sens des responsabilités devant suffire à lui faire correctement évaluer quels sont les comportements adéquats et à s’y conformer. Les constructeurs automobiles sont partie prenante dans le débat, puisqu’ils affirment que les véhicules sont intrinsèquement de plus en plus sûrs, et que la puissance contribue à la sécurité, en permettant des dépassements plus rapides par exemple, ou en facilitant les insertions. Par conséquent, il ne s’agit pas de toucher aux véhicules mais d’éduquer.

Un tel raisonnement va dans le sens de ce que souhaite une majorité de conducteurs, au premier rang desquels les propriétaires de deux-roues lourds. Tout est donc pour le mieux !

L’auto-évaluation des risques

Sur la route, les conducteurs estiment que leur liberté consiste à apprécier eux-mêmes les risques encourus. Ils revendiquent la possibilité de faire, personnellement, une analyse intelligente des situations. La libre appréciation et la faculté d’adaptation aux conditions concrètes de la circulation s’opposeraient à une application aveugle de la réglementation : pourquoi respecter une limitation de vitesse quand on juge qu’il n’y a pas de danger ? Le fondement de l’insécurité repose sur ces arbitrages individuels. Et un tel discours passe très bien : il défend l’intelligence par rapport à l’arbitraire de la réglementation. Ce genre d’argument est utilisé face à la limitation de vitesse mais aussi, dans une moindre mesure, vis-à-vis de l’alcool : on se juge capable d’estimer pour soi-même la quantité d’alcool compatible avec la conduite. Si un consensus se dégage de plus en plus sur les dangers que font courir la vitesse et l’alcool, à l’échelon individuel les bonnes intentions disparaissent en raison du filtre de l’appréciation personnelle : « La vitesse est certainement dangereuse, mais moi je sais quand je peux aller vite ! »

Une semblable volonté de contrôle individuel se retrouve dans tous les domaines de l’automobile. Désormais, grâce à l’électronique, on sait faire des dispositifs qui peuvent soit fournir des informations supplémentaires (amplification de la vision, informations sur le trafic, navigation et guidage), soit agir directement sur le véhicule (régulation des interdistances, radar anti-collision, limiteurs de vitesse, anti-démarrage en cas l’alcoolémie illégale). Or les réactions du public à ces innovations sont assez homogènes : la quasi-totalité des automobilistes réclame davantage d’informations et d’assistance, une majorité serait favorable au principe de certaines contraintes ou limitations, mais bien peu d’entre eux seraient prêts à les accepter sur leur propre véhicule dans la mesure où cela en entraverait la libre utilisation.

Le même type d’attitude se retrouve face à la réglementation. On la voudrait à son service (informer, guider, protéger des autres), mais en restant libre de « l’interpréter » le cas échéant. Les groupes de pression très influents que constituent les automobile clubs concourent à ce mode de pensée, en défendant notamment la modulation des limitations de vitesses, selon les lieux voire selon les véhicules. Ils utilisent des arguments de bon sens mais démagogiques, et s’appuient – de même que les médias – sur les témoignages de pilotes de course, qui en effet savent conduire mais ne peuvent pas être des modèles pour la collectivité. Parallèlement, la politique des constructeurs automobiles va vers l’amélioration du confort et des performances, au nom du goût du public et de l’impitoyable concurrence internationale. Mais réclamer une limitation de puissance des véhicules à la construction, par exemple, passe pour une attaque assassine contre l’industrie nationale et l’emploi ! Les réactions de la presse spécialisée face aux limiteurs de vitesses et boîtes noires sont éloquentes...

En France, contrairement à l’Allemagne, la voiture est plutôt investie comme objet de plaisir (80 % des Français disent aimer conduire), qui sert aussi à afficher un comportement sportif et ludique. Finalement, les conducteurs ne sont pas prêts à sacrifier ce plaisir pour quelques accidents en moins, alors qu’ils estiment leur risque individuel suffisamment maîtrisé et raisonnablement bas.

Ce comportement est comparable à celui vis-à-vis du tabac ; on court un risque, on en fait courir un aux autres, mais on trouve toutes sortes d’arguments pour le minimiser (je n’avale pas la fumée) plutôt que de se priver d’un plaisir.

Une solidarité en défaut

Pourtant, comme pour le tabac, les comportements routiers impliquent une relation aux autres. On dépend d’eux, on exerce une forme de responsabilité. La conduite est une activité sociale sous de multiples aspects qui impliquent interactions, coopération ou confrontation. Dans la circulation, l’autre existe bien, en tant qu’agent intelligent auquel on prête des intentions, dont on estime la probabilité de tel ou tel comportement et avec qui on communique à l’aide de codes informels mais très précis dans leur contexte.

Ceci est tellement vrai que si l’on oblige un conducteur à modifier son comportement habituel dans une situation expérimentale, il sera gêné non pas tant pour lui-même que pour les messages erronés qu’il aura conscience d’adresser aux autres à travers son comportement.

Cette réaction ne signifie pas que l’autre soit reconnu et respecté. Celui-ci est souvent vécu comme source de danger et de gêne, et la protection qu’assure le véhicule tend à dépersonnaliser les relations. La dimension sociale de la relation, y compris inhibitions et rapports de séduction, est gommée. La confrontation est donc plus fréquente, sauf quand une forme de solidarité s’établit : confrérie des motards par exemple, confrérie des chauffeurs de poids lourds (communiquant avec leurs propres codes et un usage intensif de la CB), ou simplement groupe local ou temporaire qui accepte une discipline commune pour améliorer le fonctionnement collectif (petites communes, résidences, etc.).

Risque individuel et risque collectif

Il est frappant d’observer combien il existe deux poids deux mesures dans l’attitude face aux risques courus individuellement et ceux qui le sont collectivement. Ces derniers sont pour l’opinion source de scandale. Car on n’accorde pas aux autres la même faculté de juger des comportements opportuns. Si vous prenez l’avion, vous attendez que le pilote respecte strictement la réglementation. Vous ne l’autorisez pas à estimer que les circonstances, la météo ou d’autres phénomènes extérieurs, lui permettent de s’écarter des procédures en vigueur. L’aviation, en France, fonctionne avec un niveau de sécurité pour lequel on investit des sommes sans commune mesure avec celles qui sont consacrées à la sécurité routière. Car il s’agit d’un niveau de sécurité professionnel géré par d’autres (de même, pour les centrales nucléaires, on délègue à la fois la gestion et le contrôle). De même, les conducteurs réclament des véhicules plus sûrs et des routes plus sûres, comme des biens de consommation à leur disposition. Et l’on est pris dans une chaîne où la responsabilité personnelle est gommée. Cela va très loin, aussi bien dans le domaine des infrastructures que dans celui des véhicules. Le public attend toujours plus de la part de la collectivité, et les associations de riverains ou de consommateurs revendiquent en fonction de cette responsabilité. On peut à juste titre mettre en cause la collectivité si un carrefour est mal aménagé, ou attaquer un constructeur si un véhicule présente un défaut. Mais si les automobilistes consomment de plus en plus d’équipements de sécurité (ABS, airbags, etc.) qu’ils considèrent comme un dû, ils ne changent pas pour autant de comportement individuel. La restriction d’usage touche à la sphère privée. Il n’y a pas de prise de distance par rapport à son propre comportement et on s’estime plus facilement victime que responsable en cas d’accident.

Les Français, par ailleurs, ont tendance à minimiser les risques encourus en voiture. En comparaison avec le bilan d’un accident d’avion, le petit nombre de morts et la banalité d’une collision automobile peuvent tromper. Mais si les grandes catastrophes telles que les accidents nucléaires, l’incendie du tunnel du Mont-Blanc, voire les collisions en chaîne par temps de brouillard frappent les esprits, ce n’est pas seulement à cause du nombre élevé de victimes mais parce que l’individu se sent dans de telles circonstances totalement impuissant. Il n’a plus, comme dans le cas de l’automobile, l’illusion d’avoir la maîtrise du risque.

Les automobilistes pensent aussi volontiers que la mortalité due au cancer, aux maladies cardio-vasculaires ou aux suicides est plus importante que la mortalité routière. Pourtant, on doit bien constater que le risque routier vient en tête des causes de décès prématurés chez les jeunes.

Faut-il incriminer l’existence des assurances, qui garantit une couverture même si l’on a pris quelques risques ? La conclusion est difficile à tirer puisque l’assurance est obligatoire. Encore serait-il intéressant de connaître les statistiques d’accidents en fonction du régime d’assurance. Plusieurs entreprises françaises de transport routier ont instauré une politique interne (avec récompense financière) pour leurs chauffeurs de poids lourds en tenant compte non pas de la rapidité des livraisons mais de l’absence d’accident ; ces politiques ont montré leur efficacité.

D’autres pays, le Canada par exemple, ont été plus loin, en expérimentant des mesures d’incitation et de dissuasion, jouant sur les primes d’assurances et sur la possible dispense d’avoir à accomplir les démarches de renouvellement périodique du permis de conduire (dans les pays nord américains, le permis n’est pas donné « à vie »). Ces expériences ont réussi à faire baisser de manière sensible et durable le taux d’accidents. Autrement dit, en utilisant le levier des conséquences pécuniaires, on observe une diminution du nombre de tués. Bien sûr, la vie vaut plus qu’une prime d’assurance, mais c’est en abaissant à la marge les petits risques, ceux que le conducteur n’estime pas comme susceptibles d’entraîner des conséquences corporelles, que l’on parvient globalement à faire baisser le nombre de victimes.

Comme un thermostat

Les expérimentations réalisées dans quelques provinces canadiennes se proposaient de tester la théorie de « l’homéostasie du risque », formulée par un chercheur canadien, Gerry J.G. Wilde. Selon cette théorie, chacun se fixerait un niveau préférentiel de risque, considéré comme raisonnablement faible, qu’il ne conviendrait pas de dépasser mais en dessous duquel il serait inutile de descendre – un peu comme la valeur que l’on affiche à son thermostat. En dessous de cette valeur, un comportement hyper-prudent serait du gaspillage, en termes de mobilité et de vitesse. Ce « modèle » expliquerait pourquoi certaines mesures n’ont pas eu les effets escomptés. Améliorer le revêtement et le marquage, par exemple, entraîne le plus souvent un accroissement des vitesses si d’autres mesures d’accompagnement ne sont pas prises. Et le taux d’accident varie peu, ou en tous cas pas autant que ce que l’on aurait pu espérer. De même, on observe une tendance à la compensation des risques avec la multiplication des équipements de sécurité sur les voitures. C’est ce qui s’est passé avec la ceinture de sécurité, facultative à ses débuts : les études ont montré que les véhicules équipés étaient plus souvent impliqués dans des accidents, et que c’étaient les usagers les plus vulnérables qui en faisaient les frais. Ce phénomène s’est renouvelé avec les pneus cloutés qui permettaient de rouler plus vite sur la neige et la glace. Ou encore avec l’ABS, un système merveilleux qui peut réduire jusqu’à 30 % des accidents en choc arrière sur sol mouillé : il permet de conserver le contrôle des véhicules même en cas de freinage en courbe, mais il semble augmenter l’implication de ces véhicules sur chaussée sèche, sans doute parce qu’ils ont nourri chez les conducteurs un sentiment de confiance excessif et donc probablement autorisé des vitesses plus élevées.

Des contrôles malheureusement nécessaires

Les chercheurs ne sont pas responsables de la politique de sécurité routière. Leur fonction les amène à étudier puis à proposer des solutions techniques destinées à améliorer le système de circulation, que ce soit au niveau de l’ergonomie des véhicules, des aides à la conduite, de la conception ou de l’aménagement des réseaux, voire de la réglementation. Ils ont aussi un rôle important dans l’évolution des méthodes pédagogiques (formation initiale des conducteurs, éducation à la sécurité routière dès l’école primaire...). Il faut cependant admettre qu’améliorer et former ne suffisent pas toujours. La répression est malheureusement un outil indispensable, et penser qu’une « responsabilisation » bien menée entraînera un respect spontané des réglementations est totalement utopique. Face à l’alcool au volant, l’arsenal juridique s’est durci depuis dix ans. Chaque nouvelle mesure a eu un impact immédiat sur les accidents. Mais cet effet est généralement de courte durée. Car si les sanctions sont plus lourdes, la probabilité de se faire contrôler, quant à elle, ne varie guère, et elle est globalement très basse. Dès lors, ceux qui se font prendre le vivent comme un manque de chance ou comme une injustice... ! S’y ajoute la tendance générale à remettre en cause les politiques, à relativiser, à juger par rapport à d’autres infractions considérées comme plus graves. Ces réticences devant la répression se retrouvent à tous niveaux, y compris de la part de la police qui n’est pas toujours convaincue que faire respecter les limitations de vitesse soit une tâche prioritaire.

Plusieurs pays ont installé des systèmes automatiques de contrôle très efficaces, par exemple pour le respect des feux. Aux Etats-Unis, il n’est pas possible de rouler ne serait-ce qu’une demi-heure en dépassant la vitesse autorisée sans se faire arrêter. En Australie, on n’applique pas de mesure de sécurité routière sans mettre en place le système de contrôle correspondant.

Il faut bien voir qu’il existe des phénomènes de groupe, dont l’influence sur l’individu est considérable. Quand un comportement apparaît déviant par rapport à la pratique majoritaire, il est difficile de s’y tenir. A l’heure actuelle, il est plus facile de respecter une limitation de vitesse seul que dans un flux de circulation : la pression des autres conducteurs est trop forte. On se sent mal à l’aise, gênant, voire dangereux. Dès que le rapport de forces s’inverse – et la répression peut y contribuer –, que le déviant change de camp, l’effet de groupe joue dans le bon sens. Pareille observation est valable pour les rapports entre piétons, cyclistes et automobilistes. Dans un village traversé par une route à grande circulation, les piétons représentent les faibles. A l’inverse, dans les petites rues du quartier latin à Paris, les piétons ne laisseront pas passer les voitures quelle que soit la couleur des feux s’ils sont numériquement majoritaires.

Quand les messages donnés par une politique de sécurité routière ne sont pas assortis des mesures de contrôle correspondantes, ils ne sont pas crédibles. Le contrôle-sanction a des effets par lui-même, mais il témoigne aussi de la volonté du gouvernement de faire appliquer sa politique par l’ensemble des moyens mobilisables. On ne peut pas être vertueux tout seul. Pour le moment, je ne suis pas sûr que ce message soit suffisamment entendu, malgré la conviction et la détermination de notre déléguée interministérielle à la sécurité routière.

Le nœud de la communication

Si l’on veut éduquer les automobilistes à la responsabilité, c’est toute la communication qui serait à revoir en ce domaine. La communication sur les produits, tout d’abord. Les constructeurs automobiles ont fait de la sécurité un argument publicitaire, mais lorsqu’on voit Claudia Schiffer sortir indemne d’un véhicule qui a percuté un mur, le risque d’effet pervers est évident. Si on a le sentiment d’être mieux protégé, et d’avoir payé pour cela, on peut bien prendre quelques petits risques supplémentaires !

Communication, ensuite, de la part des pouvoirs publics, dans leurs campagnes. Il est toujours difficile de trouver le bon registre. Le ton adopté actuellement est peut-être discutable, par sa violence même3. Un message, s’il est trop brutal, peut provoquer une réaction de rejet. Pour juger de son influence, une véritable évaluation sera nécessaire, ce qui n’est pas une tâche facile : une action nouvelle de communication s’accompagne souvent d’autres mesures de répression ou de sensibilisation et on ignore finalement laquelle est vraiment efficace. L’annonce d’une mesure et le battage médiatique qui l’accompagne ont à très court terme des effets amplifiés, mais ceux-ci tendent à s’estomper au bout de quelques mois.

Ce qui est essentiel, enfin, c’est la mise en œuvre d’un vrai programme de formation au sein de l’Education nationale. Il ne s’agit pas de cours de conduite mais d’une éducation à la sécurité routière, permettant aux enfants de reconnaître les dangers et de faire un apprentissage des comportements adéquats en situation réelle et d’acquérir les bases d’un « civisme routier ». Il existe déjà des initiatives : l’attestation scolaire de sécurité routière et le brevet de sécurité routière. Mais elles sont freinées par le manque d’encadrants. Toute la chaîne du système scolaire serait à reprendre, avec en particulier une formation des maîtres à la sécurité routière dans les IUFM. Cette éducation dès le plus jeune âge est indispensable si on veut éviter que se développe une société à l’américaine, où les piétons deviennent automobilistes pour ne pas courir de risque, et où aucun enfant ne va plus à pied à l’école car ce serait trop dangereux.

Il faudra bien se résoudre à se fâcher un peu...

Finalement, la route demeure un lieu où la société tout entière demeure assez tolérante : la population comme une partie des rouages de l’Etat accepte un certain niveau de risque, renonçant à prendre tous les moyens nécessaires pour les éviter. Il n’y a pas plus rébarbatifs, plus rabat-joie que les discours sur la sécurité routière ! En essayant d’introduire des règles dans un univers qui se veut d’abord un univers de liberté et d’agrément, nous sommes des empêcheurs de tourner en rond. Il est fondamental de comprendre que le vrai problème est celui de l’acceptation par tous de la mise en œuvre des moyens nécessaires pour combattre ce risque. Pour atteindre cet objectif, les conducteurs devront renoncer à une partie de leur autocontrôle et de leur liberté d’appréciation. Il faudra pour cela que l’Etat pèse de tout son poids, au risque d’être impopulaire et de se heurter au lobby des constructeurs automobiles. L’harmonisation européenne pourra peut-être nous y aider, encore que je ne pense pas qu’elle puisse changer radicalement les modes de pensée. L’harmonisation viendra sans doute davantage de la technique (affichage, info-trafic, etc.), de la réglementation ou des normes de lutte contre la pollution, plus que de la prise de conscience d’une appartenance à une société ayant des règles et des valeurs communes.



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1 On utilise couramment plusieurs indicateurs : accidents ou tués rapportés au nombre d’habitants, au nombre de véhicules, ou au nombre de véhicules-kilomètres.

2 Sur routes nationales, la vitesse moyenne est légèrement supérieure à la vitesse limite de 90 km/h. Environ la moitié des véhicules dépassent cette limite. En agglomération, le pourcentage de dépassement atteint 80 %.

3 A la radio, le 28 décembre à 8 heures du matin, on entendait ce message sur fond de musique : « Vous allez bien vous éclater à la fête ce soir ! Et même vous éclater sur un platane au retour, car le conducteur aura trop bu »...


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