Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Les régulations internationales sont en train de changer de nature ou plutôt de point d’inflexion. Jusqu’au début des années 90, les régulations négociées à l’échelle internationale concernaient la sphère financière et commerciale. L’ouverture des marchés et la réduction du rôle des Etats dans l’économie étaient promues comme les bases d’un nouveau modèle mondial. La convergence des politiques économiques devait favoriser la coopération internationale dans la construction d’un bien public jugé prioritaire. La constitution d’un marché ouvert et unifié par des règles (droits de propriété, mesures commerciales) donnait un cadre commun à l’activité des entreprises. Ce processus a influé sur les relations commerciales multilatérales et sur des négociations entre les institutions financières internationales et les pays endettés. L’essentiel de l’effort a porté sur la réduction des défaillances des gouvernements et la correction des mauvaises politiques.
Or, en 1992, la conférence de Rio traduit un point de retournement avec l’adoption de la notion de développement durable. Cette notion tente de concilier l’efficacité économique et les politiques pour conjuguer la croissance avec la protection de l’environnement et, plus difficilement, l’équité sociale. Une critique s’amorce, de la religion du marché comme mécanisme régulateur central des économies. La mise en évidence des biens publics internationaux, que les marchés ne peuvent fournir, et des « maux internationaux », que le marché peut entraîner, appelle d’autres règles.
Avec Rio commence un vaste marchandage qui voit s’opposer, autour de la notion de développement durable, les arguments et les intérêts des pays industrialisés et ceux des pays « en développement ». Les revendications des pays du Sud se concentrent sur quatre thèmes liés à la perception nouvelle de l’économie mondiale. Il ne s’agit plus de rapports entre États indépendants mais, de façon croissante, de questions collectives, face auxquelles la Communauté internationale est de facto solidaire. Ce qui se négocie aujourd’hui (aussi bien pour les acteurs publics que pour les acteurs privés), ce sont les règles de fonctionnement de l’économie globale.
Le débat sur les rapports (favorables, défavorables) entre environnement et développement était déjà ouvert depuis 1972 (conférence de Stockholm). Les pays en développement ont cherché à rééquilibrer les priorités de l’action internationale en faisant reconnaître leurs besoins de croissance, y compris dans les zones protégées. La sauvegarde de l’environnement ne devait pas obérer leurs perspectives de développement futur et la recherche de l’équité aujourd’hui entre pays est aussi importante que celle de l’équité entre les générations.
Il faut l’avouer : les négociations environnementales sur les biens globaux ont avancé plus vite et avec un contenu plus opérationnel que le débat sur la réduction de la pauvreté. Celui-ci en reste souvent au niveau des principes, comme en témoigne le sort réservé aux recommandations du sommet social de Copenhague.
Les pays en développement soulignent, de plus, la responsabilité historique des pays développés dans la dégradation des « biens communs environnementaux ». Les pays développés ont contracté une dette environnementale et les pays en développement subissent les conséquences de dégradations commises par d’autres. Si les pays développés sont demandeurs de biens d’environnement globaux et souhaitent que les pays du Sud restreignent leur consommation de ressources ou prennent en charge la protection de celles-ci, ils doivent assumer tout ou partie du coût, selon un principe de « demandeur-payeur ». Le problème se pose d’ailleurs de l’allocation initiale des ressources naturelles.
Modifier les évolutions des modes de produire et de consommer, selon des trajectoires plus économes en ressources, implique des coûts. Les technologies plus efficientes en matière d’utilisation des ressources sont, dans bien des cas, plus onéreuses que des technologies obsolètes et amorties depuis longtemps. Ces nouvelles technologies touchent à des domaines clefs comme la dépollution de l’eau, la gestion des déchets ou l’amélioration de l’efficacité énergétique... Elles englobent des systèmes complets qui ne se limitent pas aux procédés techniques, mais incluent des savoir-faire, des procédures et des méthodes de gestion et d’organisation.
La question de la propriété intellectuelle et des brevets représente ici un point de conflit entre le Nord et le Sud. Les pays en développement réclament un accès facilité aux technologies protégées par des brevets (octroi de licences, facilités financières...). Les pays développés se sont toujours opposés à ces revendications, proposant seulement un financement de la circulation des informations et des échanges d’expertises, dans le cadre de l’aide publique existante.
A Rio, les pays développés se sont engagés à consentir un effort dans l’aide publique au développement pour financer les efforts demandés aux pays du Sud en matière d’environnement. Ils convenaient que le fardeau était lourd pour les pays du Sud et que leur propre responsabilité était engagée : d’une part parce qu’ils étaient demandeurs en matière de protection de l’environnement, d’autre part parce qu’ils avaient largement contribué à la dégradation de l’environnement mondial.
Les promesses de Rio, avouons-le, n’ont pas été tenues. La réduction de l’aide publique s’est accentuée. La plupart des pays développés ne cherchent même plus à tenir un discours normatif sur l’objectif de 0,7 % du Pnb consacré à l’aide. Plusieurs, au contraire, mettent en avant le nécessaire relais de l’aide publique par le financement privé et y voient même une modalité plus efficace et plus pérenne de l’appui à la croissance économique.
L’aide publique est de plus en plus liée à des conditionnalités, parfois contradictoires. Elle est soupçonnée de nourrir la corruption et d’être peu efficace. Elle ne représente plus un transfert significatif.
Le seul mécanisme multilatéral nouveau est le Fonds pour l’environnement mondial (Fem), créé avant Rio à l’initiative de la France et de l’Allemagne. Le Fem était doté, à l’origine, de 1,3 milliard de dollars pour la première période (1990-1993) et de 2,2 pour la suivante (1993-1997). Bien loin des besoins en financement additionnel, évalués à Rio à 125 milliards de dollars par an pour la partie à la charge de la communauté internationale, le reste des financements nécessaires à la réalisation de l’Agenda 21 (475 milliards), devant être assurés par les pays eux-mêmes.
En réalité, l’aide publique au développement en provenance des pays de l’Ocde n’a pas dépassé 40 milliards de dollars par an depuis 1990. Elle est aujourd’hui retombée à moins de 30 milliards.
Les réponses des pays développés comme des institutions internationales ont sans doute manqué d’une « vision » à long terme. Elles ont, pour l’essentiel, consisté dans l’apologie du marché : un mécanisme censé régler tous les problèmes d’affectation des ressources. Cette apologie, ce « cantique » selon le mot de J. Stiglitz, ancien économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale, a contribué à promouvoir comme premier bien public international, préférable à tous les autres, la libéralisation interne et internationale des marchés de biens, de services et de capitaux.
Les pays en développement se sont lancés dans la libéralisation de manière inégale. Certains ont mené des politiques commerciales agressives et délaissé toute politique sociale. Même si des réformes étaient à l’évidence nécessaires, leur rythme et leurs modalités ont été imposés par un calendrier international très serré et n’ont fait l’objet ni d’une appropriation nationale ni d’un débat interne élargi. Les pays ont été la plupart du temps contraints de consentir à cette libéralisation, par le biais des conditionnalités liées aux prêts d’ajustement structurel, ou par la pression des négociations commerciales multilatérales.
Or la libéralisation des échanges provoque des conflits, à l’intérieur des nations et entre elles. Elle remet en question les valeurs sociales et les institutions qui en sont les garantes. Les réserves émises par les pays en développement sur le mouvement de mondialisation, qui ont été comprises dans un premier temps comme une résistance aux réformes, trouvent aujourd’hui un écho élargi dans les sociétés des pays de l’Ocde.
Car le commerce a des implications profondes sur les normes nationales et les règles sociales. Pour les sociétés, qu’elles soient riches ou pauvres, la libéralisation du commerce n’apparaît légitime que si sa compatibilité avec le respect de ces normes est assurée : les conditions de travail, les systèmes de sécurité sociale, les règles légales ont autant d’importance pour les membres d’une société que les produits qu’ils peuvent consommer.
La mondialisation accroît les possibilités de commercer entre des pays de niveaux de développement très différents et met en compétition, pour des biens similaires ou substituables, des nations dont les valeurs, les institutions et les préférences collectives peuvent être très différentes. Poursuivre le mouvement de libéralisation et d’intégration économique suppose, sous peine de rejet des opinions publiques, de prendre en compte les équilibres sociaux et écologiques, comme les institutions que se sont données les sociétés. Le succès de la thématique du développement durable, malgré son flou, s’explique largement par la perception croissante des risques liés à la mondialisation et des problèmes de plus en plus sensibles de la régulation globale du système économique mondial.
Les problématiques de l’environnement et du développement ont longtemps été perçues comme séparées, construites indépendamment, structurées par des institutions, des communautés intellectuelles, des acteurs politiques et économiques distincts. Dès 1951 cependant, l’Union internationale pour la conservation de la nature publiait un rapport précurseur essayant de réconcilier l’économie et l’écologie. De même, la conférence de Stockholm a vu émerger le concept d’« éco-développement ». La notion de « soutenabilité », traduite en français par la notion voisine de « durabilité », est finalement consacrée en 1987 par le rapport de la commission mondiale des Nations unies sur l’environnement et le développement présidée par Gro Bruntland. La conférence de Rio a officialisé la rencontre de ces deux courants d’idées.
Fruit d’une longue élaboration collective, la notion de développement durable reste très floue au-delà de l’affirmation des principes promus par le rapport Bruntland. Ceux-ci posent la nécessité d’assurer une croissance économique soutenue, compatible avec la gestion prudente des ressources naturelles et assurant l’équité intra et inter-générationnelle. La protection de l’environnement, dit Gro Harlem Bruntland dans l’introduction de Notre avenir commun, dépend de la lutte contre la pauvreté et contre l’inégalité entre les personnes et entre les nations.
Le principe d’équité inter et intra-générationnelle suppose une approche du développement qui allie efficacité écologique, efficacité économique et progrès social. Une telle révolution est encore loin d’être assimilée ! Le développement durable est perçu tantôt comme une notion globale, tantôt comme un concept ressortissant aux seuls domaines de la protection et de la gestion de l’environnement. Il représente cependant un cadre de réflexion où se négocient les nouvelles normes en matière de développement économique. Mais plusieurs conceptions s’affrontent.
La « durabilité » faible se donne comme principe le maintien ou la préservation du stock de capital pour les générations futures. Ce stock est composé du capital humain, du capital naturel et du capital manufacturier (équipements productifs). Si une des composantes baisse, elle doit être compensée par la croissance des deux autres. Pour les tenants de la durabilité faible, toutes les composantes sont substituables ; le développement technologique peut parfaitement pallier le manque de capital naturel. Bien sûr, certaines ressources naturelles sont irremplaçables, mais la plupart d’entre elles n’ont de valeur que par les services qu’elles rendent (énergie fossile, par exemple). Elles sont remplaçables par d’autres ressources qui produisent le même service. Dès lors les choix doivent être guidés par le souci d’une utilisation optimale des ressources en intégrant le long terme.
La « durabilité » forte. Une seconde tendance récuse l’idée d’une substituabilité entre les différentes formes de capitaux et affirme la nécessité de conserver un stock de capital naturel critique. Celui-ci doit, en tout état de cause, être transféré aux générations futures. Ce concept de « stock de capital naturel » présuppose un partage entre le naturel et le culturel. Il renvoie à une conception occidentale de la nature, définie de façon exogène au champ économique et humain. Les plus radicaux des tenants de la durabilité forte soulignent la nécessité de marquer une limite physique absolue aux prélèvements d’énergie et de matières physiques à l’échelle de la planète.
Ces deux définitions du développement durable relèvent de choix plus moraux que scientifiques. Devant l’impossibilité de trancher entre ces conceptions sur la plupart des grands dossiers de l’environnement, l’option adoptée par le rapport Bruntland prévaut. Si nous sommes incapables d’optimiser l’usage des ressources pour les générations futures, il faut préserver la possibilité de choix pour ceux qui viendront après nous. Les générations présentes, incapables de recréer le capital naturel, sont comptables de la transmission d’un patrimoine naturel suffisant pour préserver ces choix.
Ni la raison scientifique, ni l’omniscience du marché, ni le décideur politique, même éclairé, ne peuvent décider de choix par essence collectifs. Des procédures nouvelles sont donc indispensables à la mise en œuvre du développement durable : en effet les délibérations nécessaires pour définir les choix de développement se déroulent à différents niveaux et associent de multiples acteurs. Les perceptions et les aspirations locales ne sont pas les mêmes que les perceptions et les nécessités globales, même si un jeu d’interactions entre les échelles de débat et de décision est indispensable. Le développement durable ne se décrète pas, mais se négocie. Il est indispensable de trouver les médiations adaptées et les lieux appropriés à l’exercice de cette démocratie. Le développement durable est autant un opérateur de réformes, une nouvelle manière de gérer et d’organiser les activités humaines, qu’une référence éthique ou politique. C’est en ce sens qu’il peut être qualifié de nouveau mode de gouvernance.
Le développement durable est devenu une notion économique. Il englobe des critères de qualité de la croissance, il s’appuie sur l’idée que des biens publics ou collectifs sont nécessaires à la viabilité de cette croissance. Une telle notion est-elle favorable à l’équité ? Contribue-t-elle à assurer la sécurité alimentaire, les besoins vitaux en matière de santé, d’éducation, d’eau potable et de logement ? Ménage-t-elle les ressources naturelles de la planète, en appelant au respect d’un principe de précaution dans l’exploitation des écosystèmes ?
Répondre à ces questions dans chaque contexte national suppose d’identifier la capacité et les limites des mécanismes de marché, comme celles des institutions et des politiques publiques quand il s’agit de garantir l’existence des biens collectifs. Mais, avec l’intégration croissante des économies, il devient de plus en plus difficile pour les États d’assurer la disponibilité de ces biens sur la base de décisions ou de politiques nationales. La résolution d’une série de problèmes est renvoyée à l’échelle internationale et nécessite une coordination ou une harmonisation des politiques publiques ou des comportements d’acteurs privés.
Cette coordination passe par des règles et des institutions internationales à renforcer ou à construire. Le débat sur le développement durable signale le défaut de gouvernance du processus de mondialisation. Il étend aussi le champ spécifique des biens publics internationaux, car les défaillances de marché ne peuvent plus être corrigées exclusivement par des interventions publiques nationales.
Pour que le système global fonctionne sur une base multilatérale, privilégiant les arrangements au lieu des conflits – et la loi ou le consensus plutôt que la force et les décisions unilatérales –, il faudra parvenir, en matière de développement, à des accords et à des règles sur un minimum de normes et de biens communs. Ces accords et ces règles devront être intégrés par les institutions qui régissent le fonctionnement des marchés et leur libéralisation. Une coordination des politiques est nécessaire pour garantir la fourniture adéquate des biens publics. Mais pour organiser la coordination, encore faut-il déterminer quelles seront les priorités en matière de biens publics. L’établissement de telles priorités constitue l’agenda des négociations internationales. Or n’existent aujourd’hui ni l’autorité supranationale légitime, ni l’instance démocratique mondiale qui pourraient déterminer quels biens publics internationaux feront l’objet d’une action concertée. La « mondialisation politique » est encore à construire. La seule procédure possible est de confronter les préférences nationales et les positions des différents groupes d’acteurs. Quand il existe une véritable compétition pour faire prévaloir telle ou telle priorité, les choix doivent faire l’objet d’une négociation et de procédures de légitimation.
La préférence donnée à la négociation sur le changement global par rapport à d’autres négociations environnementales est un exemple de cette confrontation d’intérêts. Le réchauffement climatique est ainsi apparu comme plus important que les problèmes liés à la désertification : la négociation « Climat » est entrée dans une phase opérationnelle alors que la Convention sur la désertification reste encore du domaine des déclarations d’intention.
La définition des biens communs représente donc un enjeu pour les institutions multilatérales, les acteurs privés, les organisations non gouvernementales, ainsi que les gouvernements nationaux.
La gouvernance des problèmes globaux de l’environnement a connu des avancées décisives. Pourtant, les faiblesses et l’inadéquation des réponses institutionnelles sont apparues avec une acuité particulière.
Les avancées se sont traduites par la progression des négociations internationales appuyées par une prise de conscience croissante de la gravité des risques encourus et de leur caractère global. Les gouvernements, comme les communautés scientifiques, les organes de presse, les organisations environnementales et les entreprises dans un grand nombre de pays ont pris part au débat pour déterminer l’ampleur des risques et réfléchir aux solutions. Il s’est ainsi constitué, autour des grandes questions de l’environnement global, des réseaux d’acteurs participant directement ou indirectement à la décision publique et aux négociations.
Cette prise de conscience s’est accompagnée d’un essor des recherches économiques pour déterminer comment la fourniture des biens publics internationaux pouvait être assurée de façon efficace en minimisant les coûts et en évitant autant que possible les stratégies de « passager clandestin ». Les problèmes d’environnement global se caractérisent par des externalités clairement transnationales mêmes si elles sont réparties de façon très inégale entre pays et entre acteurs économiques. Ces externalités sont aujourd’hui suffisamment importantes pour affecter la croissance et le développement économique. Elles correspondent à des défaillances de marché ou à des politiques publiques qui, avec la mondialisation économique, deviennent des défaillances de marchés nationaux mais aussi mondiaux.
La seule possibilité de corriger le fonctionnement du marché ou des politiques publiques nationales est d’ouvrir des négociations. Celles-ci sont très lentes, elles ont cependant un certain succès. Des objectifs communs ont été arrêtés, par exemple les réductions de gaz à effet de serre (convention sur le changement climatique), ou pour les Cfc la programmation de la suppression de l’usage des gaz détériorant la couche d’ozone, ou encore l’application du principe de précaution dans la dissémination des organismes génétiquement modifiés...
Ces négociations environnementales aboutissent à la création de normes et de règles, appuyées sur un système de sanctions et d’incitations. Mais les différentes normes produites peuvent entrer en conflit. La logique de précaution dans le cas des Ogm peut s’opposer à la logique de libéralisation commerciale, les contraintes imposées par la réduction des émissions de gaz à effet de serre peuvent avoir un impact sur les conditions de concurrence à l’échelle mondiale. Ces conflits potentiels entre différents objectifs des politiques publiques montrent l’urgence des travaux sur l’architecture du système de régulation international. L’absence d’Organisation mondiale de l’environnement, c’est-à-dire d’un lieu de production de normes doté de moyens pour les faire appliquer explique en partie les conflits autour des règles de l’Omc. A Seattle, les opposants de la société civile avaient en commun la volonté de sortir du cadre de l’Omc les sujets d’intérêt général que sont la santé, l’éducation, l’environnement : les règles commerciales ne devaient pas s’imposer à d’autres objectifs de politique publique. Pour rendre cette option crédible, il faut que d’autres institutions dotées de moyens puissent définir ces objectifs. L’avancée des négociations environnementales, l’existence de plusieurs protocoles qui sont des textes juridiques contraignants, appellent à envisager la création d’une organisation sur le modèle des Nations unies ou de l’Omc, une organisation conduite par ces membres (Members led Organization) et disposant d’un mécanisme de règlement des différends. Il serait nécessaire de doter d’un chapeau juridique commun les conventions existantes qui définissent les conditions d’application de certains principes de Rio (responsabilité, précaution, pollueur/payeur, etc.).
La prise en compte des biens communs internationaux montre que le marché, s’il fonctionne, n’assure pas, seul, le gouvernement du système. Sans régulation, sans institutions pour l’encadrer, il engendre des coûts considérables et des « maux communs internationaux ». De même, des politiques nationales menées sans souci des conséquences internationales peuvent créer des impacts négatifs pour les biens globaux.
Que faire en l’absence d’un gouvernement mondial qui puisse faire appliquer un corps de lois, poursuivre en justice les contrevenants et garantir un système de sanctions ? Une sorte de gendarme international, à travers l’hégémonie des grandes puissances, a jusqu’ici servi de recours. Ce recours est aujourd’hui largement inopérant pour une série de raisons.
Il reste des institutions : celles créées par de multiples accords internationaux. Sans qu’ils aient toujours un objectif clairement et communément défini, les États, et au-delà d’eux une multitude d’acteurs, négocient, résolvent leurs conflits d’intérêts ou les transfèrent sur d’autres sujets. Ces processus se déroulent dans des forums de nature très différente et avec des ordres du jour parfois divergents. Les normes et les règles produites par ces processus multiples sont parfois contradictoires. Elles sont élaborées par des instances et reconnues par des institutions qui, dans le système international, n’ont ni la même force, ni la même autorité. La hiérarchie qui s’instaure entre ces forums est devenue un problème central. En l’absence d’arbitrage, les institutions qui l’emportent sur les autres sont celles qui ont un pouvoir de contrainte pour faire appliquer leur corps de principes et de règles. Il s’instaure ainsi une hiérarchie entre les biens publics internationaux qui ne fait pas l’objet d’une négociation explicite.
La Communauté internationale doit se saisir explicitement du problème de l’architecture globale des institutions de la gouvernance mondiale. Faut-il chercher un équilibre des institutions en équilibrant leurs pouvoirs de contrainte ? Faut-il au contraire désigner une institution garante en dernier ressort de l’application des normes internationales décidées ailleurs ? Ce débat doit aujourd’hui être mis sur la table pour répondre aux interrogations croissantes sur le processus de mondialisation.