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Dossier : La santé, l'expert et le patient

Régulation et coordination des politiques de santé


Il y a beaucoup de confusions autour de la démarche de l’économie en santé, la première étant celle entre économie et finance. Le souci de l’économiste est d’utiliser au mieux des ressources limitées. D’une certaine façon, il a, par rapport aux problèmes de santé, une position éthique qui demande de trouver des modes d’allocation de ressources à la fois équitables et efficaces, et qui ne se réduisent pas nécessairement à un contrôle budgétaire des sommes allouées au système de soins.

Au-delà du système de soins

La santé est d’abord un bien ou un état de l’individu très précieux : il conditionne sa capacité à vivre pleinement sa vie et à être un acteur économique. De ce point de vue, le champ de l’économie de la santé devrait aller de la compréhension du système de soins à la compréhension de ce qui fait qu’une société favorise la bonne santé des individus qui la composent. Un champ de recherche important est en train de se développer en économie de la santé. Il vise à comprendre le lien entre développement économique et social d’une société et santé d’une population. De nombreux travaux soulignent en effet le lien entre le bien-être ou l’état de santé d’une population, mesuré par des indicateurs sanitaires classiques (taux de morbidité et taux de mortalité) et la situation d’une société. Ils montrent par exemple que plus une société est inégalitaire, plus le niveau général de santé de la population est bas, et plus il y a d’inégalités entre les groupes sociaux. Il est clair que tous les mécanismes qui, dans une société, contribuent à sa cohésion sont générateurs de santé et de bien-être.

Si l’on reconnaît cela, on reconnaît que de nombreux domaines d’intervention de la puissance publique, des représentants de l’intérêt général et de la solidarité (mais la puissance publique n’est pas la seule concernée par cette dimension), méritent une attention particulière puisqu’ils sont générateurs de santé pour la population. Dans le cadre d’une politique publique, ces domaines induisent des besoins de financement concurrents de ceux du système de services de santé. Les économistes légitiment aujourd’hui la maîtrise des dépenses du système de soins par la nécessité de garder des marges de manœuvre pour faire des investissements collectifs autres, dont la rentabilité pourrait être forte en termes de santé. Par exemple, la sécurité des revenus, les services sociaux, l’éducation, la justice. Telle est la première raison d’une régulation des dépenses de soins de santé : la nécessité de comparer le rendement de ses services à ceux de ces autres domaines d’intervention publique dans lesquels on peut investir en produisant de la santé.

Incertitude et système d’assurance

Cette remarque introductive étant faite, quelles sont les caractéristiques importantes du système de soins de santé pour un économiste ? En premier lieu, on met en avant le caractère d’incertitude de survenue de maladie. Personne n’est capable de prévoir parfaitement, ni à titre individuel ni à titre collectif, la survenue d’une maladie chez un individu. Cette incertitude justifie que le financement de la réponse à un tel risque passe par des mécanismes d’assurance. Mais il s’agit d’un secteur de l’assurance un peu particulier, pour plusieurs raisons.

La première tient à la concentration des risques. Une très petite partie de la population des assurés sociaux consomment un pourcentage important des dépenses de santé (10 % utilisant près de 60 % des ressources). Ces risques sont considérables en regard de la capacité individuelle de paiement. Les assureurs privés n’aiment pas les secteurs où les risques sont aussi concentrés. Ils préfèrent être en mesure d’équilibrer leur portefeuille avec beaucoup de petits risques, lucratifs du point de vue des primes, qui compensent les aléas les plus lourds.

Une deuxième raison de la particularité de ce secteur vient de ce que les individus et les assureurs ne connaissent pas bien les caractéristiques des risques des personnes. Les économistes parlent du problème de la « sélection adverse ». Un assureur ignorant les probabilités des risques encourus par ses clients aura du mal à fixer son tarif au bon niveau : trop haut, il décourage la démarche d’assurance, trop bas, il encourt des difficultés. En effet, il va attirer des assurés à risque élevé, et sa rentabilité peut être compromise. Pour éviter tout risque, devra-t-il pratiquer une hyper-sélection des assurés, n’offrant sur le marché des contrats qu’aux personnes en très bonne santé ?

Par ailleurs, l’assureur fait appel à des professionnels pour une bonne prise en charge du risque. Il peut alors y avoir des comportements dits de « risque moral », en théorie de l’assurance. Cela veut dire que comme l’assureur ne dispose pas de l’expertise du médecin, celui-ci peut délivrer des soins au-delà des besoins de l’assuré. Celui-ci peut aussi recourir plus qu’il ne le faudrait au médecin. De tels comportements existent pour d’autres risques que le risque maladie. Par exemple, avant d’accorder une assurance « tout risque » contre le cambriolage, l’assureur essayera de minimiser l’éventualité d’un tel dommage en vérifiant que son client dispose d’une porte blindée, d’une serrure à double crochet, etc. Mais en assurance maladie, si on laisse faire les malades et les médecins, ne va-t-on pas laisser la porte ouverte à des dépenses non justifiées ?

Pour toutes ces raisons (concentration des risques, sélection adverse, comportement de risque moral), on peut montrer, en restant dans le cadre de la théorie économique, comment un simple système d’assurance privé et concurrentiel classique se révèle inefficace. Il laisse sans couverture une partie de la population et devra donc cohabiter avec un système de solidarité nationale, qui offre un filet de sécurité pour tous ceux qui ne peuvent pas trouver un contrat d’assurance sur le marché. Bien plus, un système concurrentiel privé laisse en dehors du marché de l’assurance des personnes tout à fait capables de payer ! Les pauvres ne sont pas les seuls éjectés du marché, mais aussi les classes moyennes. Ce constat soulève un problème important, sur lequel il y a un consensus relativement fort au sein de la communauté des économistes, du moins européens. Ils considèrent que, pour faire face aux dépenses de santé, la seule réponse possible est un système de solidarité universel, avec une mutualisation des risques et des prélèvements : ceux-ci seront ajustés non pas sur les risques individuels mais sur les capacités à payer des assurés.

Un facteur économique important à prendre en compte porte sur la part de la prime consacrée aux frais d’administration. Dans un système privé concurrentiel (comme aux Etats-Unis), les frais de gestion et de fonctionnement des systèmes d’assurance sont très élevés : plus de 10 % du montant des primes, parfois même 20 %. En revanche, dans les systèmes universels, type « Sécurité sociale » à la française ou « Système national » à l’anglaise, les frais de gestion sont plus réduits : de l’ordre de 3 à 4 %. Certes, ce n’est pas parce que l’on adopte un système national universel d’assurance maladie que l’efficacité de l’organisme qui gère les fonds est garantie. Mais il importe de dissocier la question du principe d’un système universel de solidarité, et la question des modes de gestion par les représentants des assurés sociaux ou des citoyens de ce fonds de solidarité. Les débats actuels, en France, à propos de l’introduction de l’assurance privée dans le fonctionnement du système de soins, mêlent les deux : la thèse selon laquelle un système d’assurance maladie concurrentiel pur serait plus efficace (ce qui est faux) et la proposition de voir les organismes gestionnaires (nos caisses primaires) soumis à des exigences plus fortes en termes de résultat pour gérer mieux l’argent de l’assurance maladie. Cette dernière exigence est une question que l’on ne peut écarter, et qui rejoint celle de la modernisation de l’Etat et de notre service public, mais elle doit être dissociée de la première.

Adéquation, qualité, coût

Une fois adopté un système d’assurance, et déterminés les organismes et les responsables d’une prise en charge des dépenses, le problème se pose de savoir si ces dépenses sont justifiées. Paie-t-on trop ou pas assez ? Le système de soins fonctionne-t-il au mieux ? L’enjeu est triple.

D’abord, celui de l’adéquation du recours aux soins. Est-il justifié, pour tel ou tel problème, de recourir à tel ou tel médecin ? Et l’acte posé par celui-ci est-il pertinent ? Le deuxième enjeu est celui de la qualité des soins. Par exemple, l’examen complémentaire est-il de bonne qualité ? Le laboratoire d’analyses médicales est-il soumis à des contrôles réguliers de vérification et de certification de ses appareils ? Donnera-t-il la bonne mesure qui induira la juste décision du médecin ? La qualité des soins dépasse la simple qualité technique des actes. Elle commence avec la qualité relationnelle de la prise en charge au premier contact. Et Dieu sait si celle-ci se révèle importante dans l’efficacité de l’acte médical ! De même, à l’hôpital, il faut considérer la qualité globale du service d’hébergement, celle de l’environnement pour éviter les infections nosocomiales, etc. Enfin, la question est bien de savoir quel niveau de qualité on est prêt à payer.

De surcroît, il est peu de secteurs où l’on rencontre une telle variété d’activités possibles. Le nombre des prestations éventuelles, celui des combinaisons de prestations sont infiniment plus larges qu’avec d’autres domaines. L’hôpital lui-même reste le cadre d’un mélange d’actes à caractère à la fois artisanal et industriel. On peut donc identifier des principes de réponse, mais il faut adapter les modalités de mise en œuvre en fonction des caractéristiques précises de la prestation de soins.

Quel éclairage la lecture de l’économiste donne-t-elle à cette complexité ? Sur la pertinence de l’indication : il est des situations où il n’a pas à juger. Quand, à la suite d’un accident de la route, on conduit un blessé dans un service de polytraumatisés, personne ne conteste la nécessité de l’hospitalisation. Mais il y a des cas plus difficiles à trancher : quelle est la pertinence de certaines indications chirurgicales, du recours à certains examens complémentaires ? Faut-il laisser aux professionnels un pouvoir discrétionnaire dans leur choix ? C’est eux qui sont face au patient et doivent évaluer, en accord avec lui, ce qui est la réponse la plus adaptée. En même temps, on ne saurait laisser sans encadrement leurs marges de manœuvre.

Quelles normes d’évaluation ?...

Deux outils sont envisageables. Le premier, dont l’usage se développe actuellement, en France, est le recours à des recommandations de pratique clinique. Elles visent à définir ce que l’on peut considérer, dans l’état de l’art et de la science médicale, comme la bonne démarche pour un problème de santé donné. Cette solution présente de nombreux avantages mais elle a aussi ses limites. Les études sur le suivi de ces recommandations montrent que si, dans de nombreux cas, l’on est, en effet, resté « dans les rails », dans d’autres cas, l’on en est sorti... La raison en est simple : il n’est pas sûr que ces rails soient toujours adéquats ! Il existe des zones importantes où il faut continuer de laisser au médecin et au patient une certaine forme de pouvoir discrétionnaire. En effet, il y a un décalage entre le rythme et la nature de la production de connaissances scientifiques sur l’efficacité des traitements. D’une part, beaucoup de traitements font tous les jours la preuve empirique de leur efficacité, mais n’ont pas fait l’objet d’une validation expérimentale, pour de multiples raisons. Par exemple, on voit mal comment on pourrait faire des essais randomisés en double aveugle en chirurgie ! Mais aussi, par définition, une étude expérimentale contrôle le maximum d’éléments dans la situation du patient, sa maladie et le traitement qu’il reçoit. Or, dans la pratique courante, on ne peut jamais être dans des conditions de contrôle aussi rigoureuses, mais le traitement peut faire la démonstration empirique de son efficacité. Et cela ne fait pas complètement l’affaire du payeur, si la fréquence des situations où les recommandations s’appliquent mal ou incomplètement est trop grande.

Le payeur a alors recours un mécanisme beaucoup plus fruste et plus facile à mettre en œuvre : le rationnement. En limitant le volume des ressources mis à la disposition du système de soins, on peut réduire les « abus » d’un pouvoir discrétionnaire dans la délivrance des soins de santé. Ce terme de rationnement comporte des connotations péjoratives, mais le problème n’est pas tant celui du rationnement en lui-même que celui de la façon dont il est appliqué dans le système de soins. Sera-t-il extrêmement détaillé ? Cherchera-t-on à contraindre de façon fine toutes les pratiques de tous les professionnels ou leur laissera-t-on une marge dans le choix de l’allocation des ressources, en fonction des besoins des patients ? Le rationnement en santé est incontournable. Le problème est de savoir comment mettre en place des mécanismes de rationnement intelligent. Le rationnement intelligent suppose de rechercher avec les professionnels des moyens d’information qui permettent de savoir si l’on a, ou non, exclu de façon injustifiée des personnes du système de soins, et de pouvoir alors modifier les règles. Une telle réflexion est menée, par exemple, lors de la mise en place d’un équipement médical lourd. Ainsi dans le cas d’un lithotriteur : celui-ci permet, par l’utilisation d’ondes de choc, de casser les calculs urinaires et d’éviter une intervention chirurgicale. Du point de vue des soins, cette machine a représenté, lorsqu’elle a été inventée il y a une quinzaine d’années, un progrès important, mais son coût à l’époque approchait les 10 millions de francs. Tout le monde n’a pas de calcul urinaire. Les études épidémiologiques donnaient des chiffres à peu près constants d’incidence annuelle de cas. Il n’était donc pas opportun de multiplier ce type de machines. On pouvait donc, dans un premier temps, limiter le parc accessible, puis l’agrandir petit à petit à partir de l’observation des files d’attente pour les machines existantes.

Un autre outil est utilisé en référence à la question de la qualité des soins, question qui n’est pas spécifique du système de santé. N’importe quelle activité économique se trouve encadrée par des réglementations et des normes relatives aux processus de fabrication et aux caractéristiques des produits : des normes de sécurité pour éviter à la fois un défaut de production mais aussi la mise en danger de la santé des ouvriers. Aucun système économique ne saurait se passer de telles procédures de qualification du produit et de l’échange. Pourtant, le secteur des soins y avait relativement échappé jusqu’à présent ! On peut dire que le seul processus formel de qualification était la formation des médecins et des soignants : le diplôme assurait la compétence, et donc la qualité. Si l’on pense au nombre de normes qui encadrent le produit « jouet », par exemple, on ne peut qu’être frappé du contraste. Voici que le système de santé est en train d’entrer dans un processus analogue, exigeant une qualification à la fois dans le processus de production et dans ses résultats. Naturellement, à ce point, les difficultés sont considérables : dans le cas de la santé, si l’on sait agir sur les structures et sur les processus, on ne sait pas très bien travailler sur les résultats.

On peut, par exemple, définir les caractéristiques structurelles d’un hôpital (la taille du bloc, l’organisation des circuits de linge propre/sale, la taille des chambres), faire des recommandations en matière de circulation des fluides médicaux, des consignes anti-incendie, etc. On peut réfléchir aux processus de travail, à ce qui touche à la qualité des soins, avec la mise en place de procédures systématiques. Les infirmiers et les aides-soignants ont pris de l’avance dans ce domaine sur le corps médical en travaillant sur ce qu’exige un cahier de soins bien tenu, un dossier de transmission bien tenu, sur les modes de vérification pour que les soins prescrits soient réalisés, etc. On définit des protocoles de bonne prise en charge.

Comment mesurer les résultats ? Il faudrait des indicateurs de résultat pour chacune des interventions médicales ! Nous balbutions encore à propos de la mesure pertinente d’une action de soins. Un mauvais exemple a été donné avec les résultats dans Sciences et Avenir, sur les taux de mortalité par hôpital. Car, pour établir une comparaison valable entre les hôpitaux, du point de vue de leur taux de mortalité lié à certaines interventions, il faudrait connaître les facteurs de risque présentés par chaque patient au moment de son hospitalisation. Une personne qui meurt à l’hôpital ne meurt pas forcément des suites d’une intervention : c’est quelqu’un qui allait mal auparavant. Il est nécessaire de considérer des nombres extrêmement importants par intervention, pour commencer à savoir ce qui est le fruit d’autres facteurs que la stricte intervention. On est très loin d’une telle lisibilité, mais des progrès ont été faits.

Non seulement on peine à mesurer les résultats, mais on ne sait pas utiliser cette information pour définir le paiement. On se limite, aujourd’hui, à souhaiter qu’un certain nombre de normes minimales soient respectées un peu partout, de façon à assurer une qualité standard pour l’ensemble de la production des soins en milieu hospitalier. D’où l’idée d’un dispositif d’accréditation que l’on commence à mettre en place.

Les modes de paiement des services de santé

A supposer que les deux problèmes soient résolus (on sait que l’acte posé l’a été de façon pertinente, on sait aussi qu’il a été réalisé dans des conditions de bonne qualité), la question du mode de paiement, sinon du niveau, devient plus simple à régler. Doit-on écarter le paiement à l’acte ? Je ne le crois pas. Après tout, on paie pour ce qui a été fait. Le paiement à l’acte n’est pervers que si l’on fait fi de la pertinence et de la qualité.

Gardons-nous de tout dogmatisme sur le mode de paiement. Dans le cadre de la médecine de ville, le débat se cristallise autour d’une opposition simple : on propose de se débarrasser du paiement à l’acte pour un paiement à la capitation. Dans ce dernier modèle, chaque médecin a un certain nombre de patients qu’il prend en charge à l’année, et pour lesquels il reçoit de l’assurance maladie une somme forfaitaire correspondante. Cette option est aussi une forme de rationnement. Mais le paiement à la capitation a également ses défauts. Il est très difficile à calculer, si l’on veut que la capitation soit adaptée aux caractéristiques des patients. Ce n’est pas la même chose de prendre en charge une personne entre

25 et 50 ans, en parfaite santé, mais qui connaît quelques accrocs, de temps en temps, ou un jeune qui présente des problèmes de santé assez importants pour des raisons d’accidentologie ou à cause de maladies infantiles, ou une personne âgée qui demande des soins chroniques lourds. La capitation doit être ajustée à la population. Par ailleurs, ce système de capitation peut inciter à effectuer le minimum de soins...

Je suis partisan d’une position intermédiaire, en refusant d’opposer les deux systèmes. Il faut, de façon pragmatique, trouver le mode de paiement le plus adapté à ce qui est fait. Si on est capable de juger de la pertinence d’une indication et que l’on s’est assuré de la qualité des soins, pourquoi ne pas payer à l’acte ? Par exemple, si l’on parvient à réaliser, dans le système de soins en France, une garantie pour que le recours à des examens complémentaires et à des spécialistes, effectués à la demande du généraliste – qui reste la porte d’entrée du système –, soit pertinent, sans utilisation exagérée des ressources spécialisées, pourquoi ne pas payer les médecins spécialistes à l’acte ensuite ? On s’assure ainsi qu’il n’y a pas de sur-prescription uniquement pour rentabiliser une machine ou un cabinet. Mais cela nécessite de réfléchir aux outils intellectuels proposés aux médecins de première ligne pour sélectionner et gérer, de façon pertinente, le recours à des examens complémentaires.

La capitation, quant à elle, a tout son sens dans certains cas. Par exemple sous forme de forfait de prise en charge. On réfléchit aujourd’hui à réorganiser le système périnatal en France. Une attention particulière est portée à la nécessité de bien orienter les femmes dans le système, en fonction de leurs risques. Pour les médecins généralistes, les obstétriciens de ville, il s’agit d’un métier à apprendre : bien connaître les risques obstétricaux, peu nombreux mais qui peuvent avoir des conséquences graves. Ce travail se paie : pourquoi pas par un forfait ? Un médecin généraliste, formé pour prendre en charge la grossesse, pourrait ainsi être payé au forfait, quoi qu’il arrive en cours de route. Une femme aura peut-être besoin de soins spécialisés, mais le généraliste ne serait pas pénalisé pour l’avoir bien orientée... Alors que dans le cas du paiement à l’acte, le médecin « perd » une patiente.

L’exemple britannique

L’exemple britannique est intéressant. On a coutume de le présenter, chez nous, comme un repoussoir. Mais on en donne souvent une image mythique. Si l’on regarde de très près, c’est un « demi-enfer ». Le système hospitalier va jusqu’au bout d’une logique de rationnement et certes, les Anglais bénéficieraient d’un desserrement des marges de financement. Mais ils ont aussi un système de soins primaires original. Les médecins généralistes de première ligne sont de petits entrepreneurs, avec des cabinets médicaux qui regroupent trois ou quatre médecins et une vingtaine d’employés. Ils emploient des infirmières, des sages-femmes, des assistantes sociales qui effectuent des visites à domicile. Une grande partie des soins de première ligne en Grande-Bretagne est faite non pas par des médecins mais par du personnel qui collabore avec eux et assure la prise en charge d’une santé communautaire. On compte deux fois moins de médecins généralistes en Angleterre qu’en France. Et ceux-ci sont payés de trois ou quatre façons. Le Service national de Santé britannique est financé par l’impôt. Il paie les médecins en couvrant de façon forfaitaire, mais bien distincte, une partie de leurs frais professionnels. Ils reçoivent une subvention annuelle pour certaines dépenses de fonctionnement : loyer, salaires, etc., et sont débarrassés du souci de « faire de l’acte » pour équilibrer leurs frais. Comme si un radiologue en France, qui a investi dans son cabinet, s’entendait dire par la Sécurité sociale : nous subventionnons une partie de l’amortissement du matériel de façon à ne rémunérer ensuite de votre activité que la réalisation technique de l’acte et l’interprétation. La deuxième source de paiement provient de la capitation. Les médecins anglais reçoivent tous les trimestres, en fonction du nombre de patients qu’ils ont en charge, une somme forfaitaire modulable, en fonction de l’âge, de la précarité et des besoins sociaux de leur clientèle, etc. Cette modulation ne règle pas tous les problèmes, mais elle est la même sur tout le territoire. Le troisième mode est celui du paiement à l’acte pour le dépistage et la prévention. Le Service national de Santé définit des priorités (dépistage, immunisation...) et les médecins perçoivent un paiement à l’acte, d’autant plus avantageux que le taux de couverture de leur campagne de dépistage est élevé. Ils sont encouragés ainsi à être efficaces. Une quatrième façon d’assurer le paiement correspond, enfin, à ce nous disions à propos de la grossesse. Plusieurs programmes de santé publique (le suivi des grossesses, celui des jeunes enfants) sont rémunérés sur la base de forfaits. Les médecins ne peuvent accéder à ces programmes qu’après avoir suivi un cursus de formation spécifique : six mois dans un service de pédiatrie, six mois dans un service d’obstétrique.

Dans une réflexion sur l’évolution du système de santé, plusieurs idées fortes se font jour désormais, en particulier grâce aux conférences régionales de santé. D’abord, la reconnaissance que les soins de santé sont des soins de proximité. Peut-on encore décider de questions relatives à l’organisation des soins et à l’allocation des ressources au niveau national de façon uniforme ? Ne faut-il pas faire intervenir un échelon intermédiaire, capable de faire remonter de l’information pertinente au niveau local, avant de vouloir traiter cette information au niveau national ? L’analyse des besoins doit se faire au niveau des « micro-marchés » locaux et non au niveau national. Un deuxième souci est d’ouvrir la porte à une meilleure participation des citoyens à l’organisation de leur système de soins local. Dès lors, c’est la troisième idée, on pourra corriger le centralisme abusif du système de santé français où trop d’arbitrages, pertinents au niveau local, deviennent le fait du prince marqué d’un arbitraire trop fréquent une fois remontés au niveau national. Comment rapprocher la sphère de la décision concernant les allocations de ressources des populations locales et de leurs représentants politiques ? C’est le chantier qui est devant nous.


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