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L’association « Notre affaire à tous » a classé les multinationales françaises selon leur respect de la loi en matière climatique. Le bilan n’est pas brillant.
Établir et mettre en œuvre un « plan de vigilance ». La loi relative au devoir de vigilance des multinationales, adoptée en 2017, est claire : les sociétés à la tête de grands groupes, implantées en France, doivent vérifier que leurs filiales et sous-traitants ne portent pas atteinte aux droits humains et à l’environnement. Les effets du changement climatique étant dévastateurs pour les écosystèmes et les sociétés humaines, les entreprises émettrices de gaz à effet de serre y contribuent lourdement. L’association « Notre affaire à tous » s’est donné un objectif : mesurer le niveau de transparence et d’alignement des multinationales avec l’accord de Paris, conformément à la loi relative au devoir de vigilance.
Aussi l’association publiait-elle, en mars 2020, le « Benchmark de la vigilance climatique des multinationales », une étude juridique comparative des performances climatiques de vingt-cinq entreprises très émettrices de gaz à effet de serre. Au départ, il s’agissait de situer l’entreprise Total par rapport à ses pairs en vue d’une action en justice contre la multinationale. Portée aux côtés de quatre autres organisations non gouvernementales et de quatorze collectivités territoriales, le but de cette action est de faire reconnaître l’obligation de décarbonisation avant 2050, conformément à l’accord de Paris, et créer ainsi une jurisprudence.
Aucune entreprise ne peut justifier d’une stratégie conforme à l’accord de Paris.
Trois critères ont été reconnus pour classer les entreprises sur le graphique ci-dessous : la reconnaissance par elles-mêmes de leur contribution au changement climatique ; la mise en œuvre de mesures de réduction des gaz à effet de serre ; l’intégration de ces informations au sein d’un plan de vigilance. Si toutes les entreprises (Air Liquide mise à part) obtiennent des notes plus élevées que Total, aucune ne se conforme pleinement à nos critères. Pas une n’est en mesure de démontrer qu’elle a mis en place une stratégie et des mesures concrètes conformes à l’accord de Paris. Toutes font donc face à des risques de non-respect de la loi.
Afin d’interpeller ces entreprises, une campagne a été lancée : un courrier soulignant précisément leurs manquements a été envoyé à chacune. Des réponses écrites, des rencontres, voire des actions, ont été obtenues en retour. Ainsi, Air Liquide s’est engagée à désormais retracer ses émissions indirectes, ce qui devrait rendre la communication de son empreinte carbone plus juste. Elle ne mettait auparavant que ses actions positives en avant, passant sous silence son impact réel sur le climat.
Aujourd’hui, l’association travaille à une actualisation de l’étude depuis la publication des derniers plans de vigilance, en 2020. Cette seconde édition intégrera deux nouvelles entreprises excessivement polluantes : Casino et Bolloré. Plusieurs constats sont toujours d’actualité : sept entreprises sur vingt-sept n’intègrent absolument pas le climat dans leur plan de vigilance, dix-huit ne publient pas de bilan carbone complet et aucune – les groupes Schneider Electric et PSA mis à part – ne présente encore de stratégie réaliste et conforme aux objectifs de l’accord de Paris. Le décalage est patent entre la communication des mesures et leur mise en œuvre. Plus alarmant, leur empreinte carbone cumulée a encore augmenté. Si cette hausse traduit peut-être un meilleur traçage des émissions de gaz à effet de serre, elle démontre en tout cas que celles-ci ne diminuent toujours pas.
Ces conclusions inquiétantes invitent à une réflexion plus large sur l’application du devoir de vigilance des multinationales. Nous disposons certes du recours à la voie contentieuse pour tenter de contraindre les entreprises à améliorer leur comportement, comme nous le faisons avec Total. Mais cette voie a ses limites (la longueur, le coût et l’incertitude propres aux procédures judiciaires notamment). Une réforme de la loi, introduisant nos critères et un contrôle de leur respect, apparaît donc indispensable. Enfin, n’oublions pas que le réchauffement climatique lié à l’empreinte carbone ne constitue qu’un volet du devoir de vigilance environnemental. Le non-respect de la biodiversité, la pollution des eaux et l’artificialisation des sols, sans oublier l’asservissement de l’humain, doivent également être étroitement surveillés. Le risque est de déstabiliser notre milieu écologique et de dépasser nos limites planétaires. Les pouvoirs publics doivent réagir !