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Pesticides : quand le bon sens a raison des lobbies Contre-pouvoirs

© bluesky85/iStock
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D’ici deux ans, en France, il ne sera plus possible d’exporter vers d’autres continents des pesticides interdits dans l’Union européenne. Une victoire écologique, remportée au terme de deux années d’une lutte féroce.


Certaines règles paraissent tellement ubuesques qu’il semble difficile de croire qu’elles existent vraiment. Imaginez que, en France, nous pouvons produire des pesticides à partir de molécules qui sont interdites dans l’Union européenne (UE) car dangereuses, afin de les exporter dans des pays tiers. L’atrazine, par exemple, est interdite depuis 2003 car trop dangereuse pour l’environnement et la santé humaine. Elle continue pourtant d’être produite en France et exportée vers de nombreux pays. Et l’incohérence ne s’arrête pas là : les denrées produites à l’étranger avec ces pesticides interdits reviennent ensuite légalement dans nos assiettes. Cette règle traduit une triple aberration. Écologique et éthique d’abord : on accepte de polluer d’autres régions du monde avec des produits qu’on refuse pour notre agriculture. Sanitaire ensuite : on expose les populations d’autres pays. Économique et sociale enfin : on met nos agriculteurs face à une compétition déloyale. Heureusement, cette incongruité prendra fin en 2022, au terme d’un combat de longue haleine, en trois rounds.

La loi Egalim ou la victoire par surprise

À l’entame du combat, la Fondation Nicolas Hulot (FNH) avait demandé la tenue d’états généraux de l’alimentation (Egalim) afin de sortir des oppositions stériles entre agriculteurs et défenseurs de l’environnement et trouver une voix commune à la réduction des pesticides. Pour y arriver, il fallait lever les obstacles, accompagner le changement et… être cohérent. On ne pouvait pas, d’un côté, vouloir interdire le glyphosate et massifier l’agroécologie et de l’autre, continuer à produire des pesticides dangereux pour les vendre ailleurs. Aussi la FNH avait-elle proposé deux amendements dans le cadre de la loi Egalim : l’un portant sur l’interdiction, dès 2020, de produire, stocker et faire circuler des pesticides contenant des molécules interdites en UE et l’autre sur l’interdiction d’importer des produits traités aux pesticides contenant des molécules interdites dans l’UE.

Afin d’éviter une opposition des lobbies des pesticides, nous avons décidé de ne pas médiatiser nos propositions.

Afin d’éviter une opposition des lobbies des pesticides, nous avons décidé de ne pas médiatiser nos propositions. Stratégie payante. Les interdictions furent adoptées puis validées par le Conseil constitutionnel en octobre 2018. La date de l’interdiction a été décalée à 2022 pour laisser le temps aux acteurs économiques de s’organiser. Pris de vitesse, le lobby des pesticides était sonné, mais pas hors-combat.

La loi Pacte ou le coup bas déjoué

Quelques semaines plus tard débutaient les discussions parlementaires concernant la loi Pacte pour la croissance et la transformation des entreprises. On entendit dire que Bercy proposait aux sénateurs de s’emparer de cette loi pour lever l’interdiction de production des pesticides interdits. La démarche se voulait discrète et rien ne fut proposé par les députés en première lecture. Au Sénat, en revanche, les Républicains déposèrent un amendement en ce sens, qui fut adopté. Au ministère de la Transition écologique et solidaire, et parmi les députés de la majorité, on nous l’affirmait : c’était une initiative de l’opposition, qui serait retirée. Pourtant, le 15 mars 2019, alors que les citoyens marchaient dans la rue pour le climat, le lobby des pesticides avançait et le gouvernement reculait. Les députés de la majorité (avec l’avis favorable du gouvernement) annulèrent, dans le cadre de la loi Pacte, l’avancée obtenue dans la loi Egalim. L’emballement médiatique qui suivit ne changea rien. La date d’interdiction de production était décalée à 2025, il était prévu des dérogations sans date butoir et étaient exclus du champ d’interdiction le stockage et la circulation des produits.

Ce revirement de situation tenait à une explication simple : les lobbies des pesticides avaient organisé la riposte auprès de Bercy en utilisant une vieille recette : le chantage à l’emploi. Syngenta, BASF, Bayer-Monsanto et d’autres producteurs et semenciers avaient expliqué au gouvernement que si l’interdiction persistait, des usines seraient délocalisées. Plus de 2 700 emplois seraient menacés. L’argument n’était pas nouveau mais fonctionnait et malgré nos alertes, le retour en arrière était bien acté. Finalement, le Conseil constitutionnel, saisi par les socialistes, censurait l’article de loi, jugé comme cavalier législatif. Nous revenions donc à l’interdiction votée dans la loi Egalim. L’écologie faisait plier le lobby des pesticides, qui refusait de jeter l’éponge pour autant.

Le Conseil constitutionnel ou la victoire par KO

Bercy n’avait plus le choix : il devait signer la circulaire d’interdiction. L’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) et l’Union française des semenciers (UFS) ne s’avouaient pas vaincus pour autant et décidaient de saisir le Conseil d’État. Ce dernier se tourna une troisième fois vers le Conseil constitutionnel. Le risque était grand de voir cette mesure censurée au nom de la défense de la liberté d’entreprendre. La fédération France nature environnement se mobilisa sur les aspects juridiques. Finalement, la victoire fut historique, puisque les membres du Conseil consacrèrent le 31 janvier 2020 un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres vivants. En 2022, produire des pesticides interdits à des fins d’exportation sera prohibé en France. Victoire de l’écologie et de la santé publique par KO. Fin d’une aberration parmi tant d’autres… pour le moment.

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