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Mémoire vive d'une zone industrielle Figure inspirante

©Martin Monti-Lalaubie
©Martin Monti-Lalaubie

Jean-Jacques Clément habite La Plaine, à Saint-Denis, un ancien secteur industriel en pleine métamorphose. Pour veiller à la mémoire de son quartier, il a choisi de le raconter.


La rédaction de la Revue Projet se situe à La Plaine Saint-Denis. Vous êtes sans doute l’un des personnages que l’on croise le plus souvent dans le quartier…
Je suis à La Plaine depuis l’an 2000. Et effectivement, je suis devenu un personnage un peu, parce que je circule beaucoup. C’est le temps qui fait qu’on vit sur un territoire, qu’on le sillonne… Par plaisir, et puis par ses déplacements quotidiens. En fait, je suis originaire de Saint-Ouen, de l’autre côté des voies ferrées. J’ai été machiniste à la RATP toute ma carrière. Et aujourd’hui, j’habite en face des « cathédrales du rail », les anciens hangars de la SNCF. En fait, j’ai tourné autour des voies ferrées quelque part !

Depuis combien de temps êtes-vous l’un des piliers de l’association « Mémoire vivante de La Plaine » ?
Depuis ma retraite surtout. On rassemble la documentation transmise par nos prédécesseurs et on la complète en permanence avec des photos, des documents écrits, des données qu’on déniche sur Internet, des bouts d’histoires ou des études de chercheurs. Et en fonction de ça, on fait soit des conférences, soit des présentations, soit des expos photos, soit des ballades. On fait de l’éducation populaire. Quand j’arrive à un endroit, j’aime bien savoir d’où on vient, où on est et où on va. Je n’aime pas m’éparpiller, je préfère me concentrer là où j’atterris. C’est presque naturel, pour moi, de creuser l’endroit où je suis.

La Plaine a toujours vu des populations arriver, ce territoire a une très longue histoire !

Est-il important de faire vivre la mémoire d’un quartier ?
Dans toutes les rencontres, les ballades que j’organise – pour des habitants du coin comme pour des gens de l’extérieur –, je découvre un intérêt très vif à comprendre ce qu’ils voient. Bien sûr, aujourd’hui, on doit s’inscrire dans un territoire en transformation. C’est un peu une aventure. Mais une aventure qui poursuit celle commencée depuis longtemps. Après cent cinquante ans d’histoire industrielle de La Plaine, les gens sont intéressés par la construction d’un nouvel urbanisme. J’essaie d’être un digne successeur des fondateurs de l’association : Raymond Le Moing, qui avait été directeur du chemin de fer industriel, et Abel Tissaud, un habitant et un militant historique. Ils voulaient laisser une trace, disons, de 1820 (date de la construction du canal) jusqu’à aujourd’hui. Depuis, on a élargi un peu le champ. On a remonté, comme on dit, deux mille ans d’histoire : avant l’ère chrétienne, même avec les Celtes ! Il y a eu la plaine maraîchère, la grande foire du Lendit, les montjoies qui jalonnaient les processions depuis la ville… On est dans un couloir, depuis le nord de l’Europe jusqu’à Paris. Bien sûr, le paysage change, mais cet héritage de passage, d’échanges et de rencontres, il est très ancré. La Plaine a toujours vu des populations arriver, d’Europe d’abord, puis de la planète entière. Ce territoire a une très longue histoire !

Et pour tous ceux qui viennent aujourd’hui y habiter, est-ce toujours important de se situer dans cette mémoire ?
Depuis trois ans, des professeurs proposent à des lycéens un atelier théâtral. Et ils veulent que les élèves, venus souvent d’un périmètre plus grand, sachent où ils sont. On a fait visiter le quartier à cinquante jeunes de seconde, un groupe très métissé. Et les lycéens sont intéressés quand on leur raconte un peu ce qui s’est produit avant. L’arrivée des immigrés, l’habitation du quartier de la Petite Espagne… parce que ça aussi c’est un bout de leur histoire, même s’ils ne sont pas d’origine espagnole.

La Plaine a connu plus récemment des arrivées bien différentes avec le campement de 400 ou 600 personnes sur l’avenue qui traverse le quartier…
On a vu débarquer en octobre-novembre 2016 un certain nombre de gens dont on ne savait pas trop d’où ils venaient. Une petite équipe d’habitants est allée à leur rencontre ; demandeurs d’asile, réfugiés, le nombre est monté au fur et à mesure. Ils venaient d’Afghanistan, d’Érythrée, de Somalie, du Soudan… On a découvert ces pays au fur et à mesure ! Pendant un an et demi, on a organisé des petits-déjeuners pour leur apporter un peu de chaleur et surtout du contact.

L’initiative est venue d’habitants ?
Un petit noyau refusait de subir l’indifférence générale. Le campement se trouvait sur le trajet d’écoles. Et des mères de famille se demandaient comment elles pouvaient supporter le regard de leurs enfants sur une situation pareille. L’organisation d’un petit-déjeuner s’est faite dans la foulée, par ces mères, après avoir emmené leurs enfants à l’école. Au début avec des petits thermos familiaux, puis il a fallu s’organiser, faire une cagnotte en ligne, acheter du matériel de grande capacité. À la fin, on servait jusqu’à 800 personnes.

Pourquoi êtes-vous également actif dans le conseil citoyen de la ville ?
J’ai besoin de comprendre les articulations : comment la ville se construit ? Comment l’avis des habitants est pris en compte ? Le conseil est né d’une volonté de l’État de structurer une participation démocratique dans les quartiers de rénovation urbaine. Il réunit dix représentants des associations, dix personnes volontaires et dix membres tirés au sort. En réalité, ça marche très mal. Sur les trente participants, on en a perdu très vite une dizaine. Peut-être qu’avant, on écoutait un peu plus les critiques ou les demandes sur la façon dont la ville se construisait. Aujourd’hui, on a l’impression que les choses roulent… On a entendu beaucoup de requêtes, en particulier sur la propreté du quartier. On a recueilli des avis lors des fêtes, à la brocante… Mais pour quels résultats ? Faute de moyens, faute de vrai budget, on est dans la débrouille. Parce que plein de gens ne savent même pas qu’on existe. On ne touche pas des gens très populaires. Mais personne ne les touche aujourd’hui, ces gens-là, ils viennent très peu à des réunions de quartier… En fait, le public, c’est des catégories plutôt aisées et de classe moyenne supérieure. Ça, c’est un vrai problème.

Ceux qui sont en très grande difficulté ont l’impression qu’à part la débrouille, il y a peu d’avenir pour eux.

L’histoire de ce quartier est très marquée par la solidarité, notamment ouvrière. Pensez-vous que vous parviendrez à la recréer ?
Le collectif est encore un élément important. Beaucoup d’associations soutiennent les populations les plus en difficulté… Mais les gens sont comme dans des impasses, avec des fractures sociologiques. Ceux qui sont dans un certain confort n’aspirent qu’à voir les choses s’améliorer ; ceux qui sont dans la très grande difficulté ont l’impression qu’à part la débrouille, il y a peu d’avenir pour eux. C’est une tension très importante.
Regardez les mécaniciens de rue : cela dure depuis des années et des années. Ils bricolent des voitures pour les particuliers. Ça crée des tensions parce que les gens disent : « C’est quoi ce truc en chantier, à ciel ouvert, avec destruction de voirie, des arbres qui meurent à cause de l’huile déversée… » Personne n’a trouvé de solution. Ni la police, ni un système économique qui permet d’insérer. Donc sur des problématiques comme ça, on continue à séparer les populations. Au sud de La Plaine, par exemple, il y a encore tout un tas d’habitats en déshérence. Des immeubles qui ont besoin de grosses réfections, mais rien n’est fait. Ça ne fait que se dégrader, les incendies se multiplient.

Pourtant quelque chose de commun se réalise autour d’événements, de fêtes…
En effet, c’est un des champs que l’on pourrait cultiver. Par exemple, faire revivre la foire du Lendit sous une forme moderne avec toutes les populations ! Si on regarde le spectre, il y a des Chinois, des Pakistanais, des Sri Lankais, des Maghrébins… Ce sont des gens qui aiment la fête ! Un des plus gros événements, c’était au Pont de Soissons, à l’initiative de l’association Plaine de femmes. Vraiment, c’était dérisoire en termes de contenu. Un peu de musique, de la nourriture… mais il y avait 600 personnes. Et là, ça dansait, la fête, il y avait des gens de toutes les catégories. S’il y avait de vraies volontés politiques, un peu de moyens, en pensant ça un an à l’avance… À Aubervilliers, il y en a qui font un défilé où les gens construisent pendant six mois des lanternes magnifiques. Des savoirs faire, il y en a tout le long.

Propos recueillis par Bertrand Cassaigne.

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