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Dossier : Le vrai pouvoir des maires

Raclette et politique

Action de rue menée par Tous Élus à l'occasion du Congrès des maires de France le 19 novembre 2019. © Camille Marguin - Tous élus
Action de rue menée par Tous Élus à l'occasion du Congrès des maires de France le 19 novembre 2019. © Camille Marguin - Tous élus

Tout a commencé au cours d’une soirée raclette. C’est à force de refaire le monde entre amis qu’est née l’association Tous Élus. Le but ? Être un tremplin pour tous ceux qui souhaitent s’engager dans les municipales.


Lundi 29 avril, 23 h 30. Je traverse à vélo la place de la Bastille, bercé par le « doux » son des klaxons de Parisiens pressés de rentrer chez eux. Je sors d’une réunion mêlant enjeux européens et urgence climatique, animée au sein de l’association dont je suis salarié, Makesense. Cette soirée à deux visages est à l’image de mon engagement actuel et de mon parcours. Agronome de formation, j’ai rapidement complété cette approche scientifique avec un master de sciences politiques. Je suis donc aujourd’hui chargé de mobilisation citoyenne sur les questions climat à Makesense en même temps que bénévole à « Tous Élus ».

Du politique à la politique

Hiver 2017-2018 : la genèse de Tous Élus. La délicieuse saison des raclettes politiques est arrivée. Concept surprenant mais simplissime : réunir des amateurs de politique… et de fromage, le temps d’une soirée. Léa commente l’arrivée de Macron au pouvoir, Camille demande si le renouvellement des trois quarts de l’Assemblée nationale va changer quelque chose et Clément pense déjà aux échéances électorales à venir. Tout cela est joyeux, savoureux. Et ça aurait pu s’arrêter là.

Nous faisons partie d’une frange bien définie de notre génération pour qui la politique est essentielle et digne d’intérêt. Et pourtant, l’action politique, institutionnelle, partisane est absente de nos vies.

Mais peu à peu, nous prenons conscience d’un (triste ?) état de fait. Parmi les dizaines de copains et copines qui participent régulièrement à ces repas riches en lactose, tous et toutes se disent « engagés », « militants ». En gros, nous avons l’impression de bouger au quotidien pour rendre notre société plus durable, inclusive et juste. Mais qui parmi nous est encarté ? Qui parmi nous a mené campagne pour l’un des onze candidats lors de la dernière présidentielle ? Qui serait capable de nommer son maire ? Son député ? Qui a déjà participé à un conseil municipal ? Personne. Ou très peu. Nous faisons partie d’une frange bien définie de notre génération pour qui la politique est essentielle et digne d’intérêt. Et pourtant, l’action politique, institutionnelle, partisane est absente de nos vies. Bien sûr, être bénévole dans une association d’éducation populaire, c’est de la politique, tout comme faire des vidéos engagées sur Youtube ou travailler pour un think tank spécialisé sur les questions de transition énergétique. Mais dans chacune de ces actions, on presse, on influence, on tente de convaincre ceux et celles (surtout ceux) qui ont le pouvoir de décider. Et c’est là qu’est toute la différence. On peut mener cinq ans de campagne pour interdire le plastique à usage unique, mobiliser des centaines de milliers de Français et Françaises, faire signer des pétitions… Mais, à la fin, c’est le député et ses copains qui décident.

Tous Élus, c’est d’abord un constat qui se traduit par des chiffres effarants. Il y a eu 57 % d’abstention au second tour des dernières législatives (un record !) ; plus de 70 % des 18-34 ans ne sont pas allés voter ; parmi les abstentionnistes, 69 % d’ouvriers contre 50 % de cadres (Ipsos/Sopra Steria, 2017) ; et 87 % des jeunes ne se sentent pas assez représentés en politique (sondage BVA pour les Apprentis d’Auteuil, 2016). Et la liste de statistiques est très, très longue. Chaque année, le baromètre de la confiance politique du Cevipof nous présente des chiffres tout aussi incroyables. La méfiance envers les politiciens, les partis, les décideurs est à son paroxysme. Comment est-ce possible ? Comment pouvons-nous être à bord d’un navire, critiquer constamment les actes de l’équipage, sans entreprendre aucune action pour reprendre le contrôle ? Combien de temps allons-nous rester spectateurs et nous désespérer en écoutant la radio le matin parce que des décisions nous paraissent être injustes, injustifiées, servir l’intérêt d’un petit groupe, aller à l’encontre du respect de notre environnement, des droits sociaux, etc. ?

Première étape dans le viseur, les municipales de 2020, la marche la « moins haute » pour entrer en politique.

En juin 2018, nous nous retrouvons pour 48 heures sur les côtes normandes pour donner forme à cette « rage », cette envie de reprendre le pouvoir et de réduire le fossé grandissant entre citoyens et décideurs. 48 heures à se poser ensemble la question du chaînon manquant, à imaginer le monde de demain, à décrire notre indignation autant que nos espoirs. Aujourd’hui, Tous Élus est une association portée par une centaine de volontaires. Son but est simple : réconcilier les jeunes avec la politique et, plus que cela encore, les pousser à prendre des responsabilités. Première étape dans le viseur, les municipales de 2020, la marche la « moins haute » pour entrer en politique. En effet, le lien au territoire est pour beaucoup évident. Nombre de citoyens se sentent légitimes à dire : « Je sais ce dont nos habitants ont besoin, je connais le contexte de ma commune mieux que personne. » C’est beaucoup moins le cas à des échelons départementaux, régionaux, voire à celui de la circonscription et des législatives. À l’échelle de la commune, parler de politique devient rapidement palpable, concret, accessible. Exemple très simple avec David, qui s’engage à Créteil et qui, au départ, n’avait aucun projet « politicien », si ce n’est défendre avec un groupe d’amis un terrain vague, lieu de multiples rencontres, que la mairie souhaitait transformer en lotissement. C’est par cette mobilisation très ciblée que David a pu donner à « la politique du proche » tout son sens et se lancer dans les municipales. Nous voulons que des centaines de citoyennes et citoyens deviennent maires ou intègrent une liste. Nous voulons former gratuitement toutes celles et ceux qui veulent que cela change.

Apartisane, nationale et participative

Notre association se fonde sur trois grands principes : elle est apartisane, nationale et participative. Nous ne soutenons ni ne rejetons aucune couleur politique. Nous défendons un projet citoyen : celui de la « démocratisation » de l’engagement politique. Cette dimension a beaucoup fait débat au lancement du mouvement. J’avais personnellement du mal à m’imaginer former et accompagner un jeune portant une idéologie politique diamétralement opposée à la mienne. Mais comment faire bouger les lignes si nous ne réapprenons pas les valeurs du dialogue et du débat ? Si nous lançons des initiatives pour tout le monde « sauf ceux qui ne pensent pas suffisamment bien » (c’est-à-dire comme nous) ?

Nous ne sommes pas là pour dire à notre génération : « Voilà ce qu’il vous faut penser et faire pour changer votre commune », mais plutôt : « Voilà les outils dont vous aurez besoin pour reprendre le pouvoir et rejoindre le monde de la politique. »

Aujourd’hui, l’association compte des gens de tous bords politiques : c’est une grande fierté. Nous ne sommes pas là pour dire à notre génération : « Voilà ce qu’il vous faut penser et faire pour changer votre commune », mais plutôt : « Voilà les outils dont vous aurez besoin pour reprendre le pouvoir et rejoindre le monde de la politique. »

L’association est participative. Tous Élus prend racine au niveau local, avec la participation de chacun dans les décisions et les actions, en toute transparence. Après un tour de France de plusieurs mois mené par trois jeunes en service civique, nous avons lancé un peu partout des groupes locaux (ce que nous appelons des « commandos »), pour ouvrir des lieux de discussions, voire créer des tremplins pour se présenter aux municipales. Des espaces bienveillants, où toute personne peut se sentir libre d’exprimer ses opinions et rejoindre d’autres citoyens à qui la question de l’élitisme politique importe. Deuxième exemple : toute personne qui souhaite rejoindre l’équipe des volontaires a rapidement accès aux informations et décisions de l’organisation. Notre but est de décider à plusieurs, en utilisant les outils de la sociocratie1 et en faisant confiance aux nouveaux arrivés. Incarner une démocratie participative et l’expérimenter à notre échelle est une première étape pour pousser le modèle de gouvernance actuel à se renouveler. Notre association est nationale. Depuis le début du projet, nous sommes ancrés partout en France, des villes aux campagnes en passant par les zones périurbaines. Notre envie est d’aller écouter les oubliés de la politique, celles et ceux qui, depuis longtemps, jouent en coulisse ou attendent leur tour. Nous disposons pour cela de nombreux partenaires très ancrés localement et qui nous aident à « sortir de notre bulle des centres-villes ». Parmi eux, les scouts, le Mouvement rural de jeunesse chrétienne, l’Association de la fondation étudiante pour la ville, Animafac, Unis-Cité, etc.

Aujourd’hui, Tous Élus accompagne Audrey, 28 ans, qui a décidé de se lever face à un maire en poste depuis plus de trente ans dans sa commune. Ou Ninon, qui est revenue dans le village de 300 habitants où elle a grandi pour intégrer une liste municipale citoyenne. Ces personnes sont aujourd’hui le visage d’une génération qui veut retrouver sa place au sein du jeu politique. 

En savoir +

La formation de Tous Élus en un clin d’œil

La question nous est souvent posée : « D’où viennent les contenus sur lesquels se base la formation ? » Le squelette a été conçu par Lucie, cofondatrice de l’association, dont le métier (ça tombe bien) est de construire des formations. Cependant, personne dans l’équipe n’étant « expert » sur ces questions des municipales, nous avons fait appel à des universitaires, des chercheurs, des politologues, des ex-maires, etc., pour compléter le fond de nos formations. Au bout du compte, tout apprenti élu souhaitant devenir maire passera par quatre étapes.

Étape 1 : Neuf vidéos d’une à deux minutes sur les notions de base (qu’est-ce qu’une municipalité, quel est le rôle du maire, comprendre le mille-feuille administratif, etc.). Ces capsules ont été accompagnées d’une vaste campagne de communication pour dédramatiser l’engagement politique. C’est notamment le hashtag #PourquoiPasToi, des micro-trottoirs et des « actions coup de poing » (dans le métro ou aux terrasses des cafés) qui nous ont permis d’attirer quelques 3 000 personnes vers la suite de la formation.

Étape 2 : Le citoyen est ensuite appelé à s’engager dans une vraie-fausse campagne en ligne. Sept défis, avec des livrables concrets à réaliser, sont proposés (connaître sa commune, quelles sont mes valeurs, construire son programme, communiquer, fédérer une équipe et la gérer, financer sa campagne). À la fin de cette étape, l’apprenti élu est prêt à se lancer « en vrai ».

Étape 3 : De la formation en ligne, on passe à la formation hors-ligne. La rampe de lancement vers les municipales est baptisée « les week-ends de la Relève » : les apprentis élus se retrouvent pour 48 heures avec les autres candidats de leur région pour être formés sur des questions plus « humaines » : gestion de conflit, prise de parole en public, travail en équipe… Être maire, c’est avant tout apprendre à des citoyens à faire passer l’intérêt collectif avant l’intérêt individuel, ce qui n’est pas une mince affaire.

Étape 4 : La dernière étape consiste à se lancer pour de bon. Chaque candidat exprime ses besoins et son contexte et se voit attribuer un ou une mentor (un ancien maire, un chercheur, etc.) qui correspond à ses attentes. Et la campagne peut commencer.

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