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« À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir », René Char, Feuillets d’Hypnos.
Sous la pression de la société civile (18 ONG coordonnées par Transparency France), dont la vigilance n’a pas faibli tout au long des trois lectures au Parlement, et grâce à l’engagement du gouvernement et de l’Assemblée nationale, la France a adopté le 9 décembre 2016 un régime général de protection des lanceurs d’alerte parmi les plus avancés au monde1. La définition retenue est large, comme le demandaient les ONG. Outre le signalement ou la révélation d’une violation de la loi, nationale ou internationale, elle est étendue à « une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ». De surcroît, elle n’est plus limitée au cadre du travail : « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. » Adoptée sur le fondement du cas d’Antoine Deltour (Luxleaks), cette définition inclut donc aussi bien le risque grave pour le climat ou la santé que l’optimisation fiscale agressive…
En cas de danger grave et imminent ou de risque de dommages irréversibles, l’alerte peut être immédiatement rendue publique.
Une procédure de signalement sécurisée est instaurée avec 3 paliers : l’alerte doit d’abord être lancée par voie interne puis, si nécessaire, via le régulateur, voire auprès de la société civile. Mais en cas de danger grave et imminent ou de risque de dommages irréversibles, l’alerte peut être immédiatement rendue publique. Par ailleurs, des dispositifs d’alerte doivent être obligatoirement mis en place (pour des lanceurs d’alerte internes et externes) dans toute organisation d’au moins 50 salariés2 et offrir une stricte garantie de confidentialité sous peine de sanctions pénales (2 ans de prison et 30 000 euros d’amende). Enfin Une autorité indépendante3, le Défenseur des droits, est chargé d’orienter les lanceurs d’alerte (à toute étape de celle-ci) et de veiller à leurs droits et libertés. Il a le pouvoir d’investigation et le secret de l’instruction ne peut lui être opposé.
La loi garantit au lanceur d’alerte une irresponsabilité pénale pour les secrets protégés par la loi, hors trois exceptions : la défense nationale, le secret médical et la relation avocat-client.
La loi garantit au lanceur d’alerte (citoyen ou salarié) une irresponsabilité pénale pour les secrets protégés par la loi, hors trois exceptions : la défense nationale, le secret médical et la relation avocat-client. Mais rappelons que la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015 prévoit un dispositif spécifique de protection pour ces personnels et qu’il existe des exceptions légales au secret médical et à la relation avocat-client. Il est également protégé contre toutes représailles, qui sont frappées de nullité (l’agent public ou le salarié doit être réintégré en cas de révocation ou licenciement). Enfin, des sanctions civiles et pénales sont prévues pour divulgation des identités ou des faits révélés, pour obstacle « de quelque façon que ce soit » au signalement, ou pour procédure abusive en diffamation contre le lanceur d’alerte.
Cette législation offre ainsi une solide protection mais elle est évidemment encore perfectible. Son but est de développer une culture partagée de la responsabilité dans toute organisation comme dans la cité. Selon l’historien grec Polybe, la liberté de dire la vérité (parrhèsia) est un pilier essentiel de la démocratie.
1 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
2 Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’État.
3 Loi organique n° 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte.