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Laudato si’, l’encyclique écologique et sociale du pape François, a été encensée bien au-delà du monde catholique. Mais les thuriféraires du texte papal ne sont pas unanimes. En cause, cette affirmation reprise à son compte par le pape argentin : « La croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ». Or les 7,5 milliards d’humains consomment déjà bien plus que ce que la planète ne peut leur donner durablement (cf. S. Paillard). Et ils pourraient être près de 17 milliards en 2100, selon l’Onu. En balayant d’un revers de main la question de la natalité dans un monde fini, l’Église serait-elle irresponsable (cf. B. Holzer et Justice&Paix) ? La question est sensible (cf. P. Samangassou). Et pas que pour les chrétiens (cf. H. Boncana). Combien d’humains peuvent vivre dignement sur cette planète sans détruire les écosystèmes et compromettre les conditions de vie des générations à venir ?
En 2100, l’Afrique pourrait compter jusqu’à 6 milliards d’habitants (5 fois plus qu’aujourd’hui) ! Certes, à si long terme, les projections ont davantage une fonction politique, voire religieuse, qu’une valeur scientifique (cf. H. Le Bras). Elles n’en donnent pas moins le vertige : comment diminuer la compétition pour les ressources si la planète ne cesse de se densifier ? La confrontation à un environnement contraint peut, certes, stimuler l’inventivité sociale, la résilience, comme au Bangladesh (cf. A. Baillat), mais c’est elle aussi qui, en Chine ou au Vietnam (cf. S. Fanchette), a justifié une violence d’État pour juguler la fécondité (cf. M. Gaimard). Or notre folle course en avant, déjà à l’origine d’une extinction inédite des espèces, d’un épuisement des ressources rares et d’un périlleux dérèglement climatique, ne fera qu’exacerber les conflits fonciers, les déplacements de populations et les pénuries d’eau potable… Et d’abord dans les pays les plus pauvres (cf. J.-L. Racine).
La population est certes un paramètre pour aboutir au respect de notre biosphère, mais certainement pas le plus déterminant.
Trop nombreux, donc ? L’équation n’est pas de pure arithmétique (cf. M. Rao). Même si l’on s’accordait sur un volume de ressources disponibles pour l’humanité, quelle ponction sur ces ressources serait nécessaire à chacun pour vivre dignement ? La réponse n’est ni évidente, ni sans doute universelle. Surtout, l’empreinte écologique des Terriens est très inégalement répartie (cf. H. Lassalle). À tout prendre, à niveau et mode de vie constants, 10 millions d’Afghans supplémentaires endommageraient moins la planète qu’un million de Français en plus… La population est certes un paramètre pour aboutir au respect de notre biosphère, mais certainement pas le plus déterminant (cf. J.E. Cohen). Ici encore , la question écologique est d’abord une question de justice. De légitimité, aussi. Faute de remettre drastiquement en cause leur mode de vie, les Occidentaux sont-ils fondés à parler de maîtrise de la population mondiale ? Comment ne pas les suspecter de vouloir préserver leur petit confort ?
Encore faudrait-il aussi qu’on puisse stabiliser la population – un objectif sur lequel les Nations unies se sont accordées au Caire, en 1994 (cf. J. Véron). Or l’influence des pouvoirs publics en la matière est toute relative : en Iran, la fécondité a chuté alors même que le régime théocratique prônait l’inverse (cf. M. Ladier-Fouladi) ; même en Chine, l’enfant unique n’a eu qu’une incidence supplétive sur une transition déjà bien engagée (cf. L. De Giorgi). Rappelons aussi que « la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine » (Gandhi) : si l’ambition des « politiques de population » est de permettre à chacun de mener une vie plus humaine, quelle place pour une politique coercitive ? Le recours à l’avortement ne saurait, non plus, participer d’une politique de limitation de la population. En revanche, une chose est établie : la plupart des femmes choisissent d’avoir moins d’enfants quand elles peuvent en décider librement. Ce qui suppose l’amélioration de leur statut, l’accès de toutes à l’éducation. Et la mise à disposition des moyens modernes de contraception. Or aux Philippines ou en Afrique, les évêques freinent toute évolution, campant sur des interdits… Est-ce bien là la bonne nouvelle que Jésus est venu apporter aux hommes (et aux femmes !) ? Heureusement, le discours du Vatican n’est pas complètement figé (cf. G. Catta et B. Saintôt). Sans doute faudrait-il le dire plus clairement.
D’une écologie qui priverait les hommes de ce qu’ils ont de plus cher, nous ne voulons pas.
On touche ici au cœur de la « conversion écologique ». Que la naissance soit perçue comme l’inscription dans une lignée (cf. J.-H. Déchaux), comme le fruit le plus fécond d’une alliance, comme l’expression ultime de sa liberté ou comme un don de Dieu, elle touche à l’intime, un espace qui s’accommode mal de la contrainte. D’une écologie qui priverait les hommes de ce qu’ils ont de plus cher, nous ne voulons pas. Il ne saurait s’agir de mettre l’amour sous contrainte. De l’empêcher d’être fécond. Mais au contraire, de l’élargir, lui qui ouvre un espace illimité, à l’humanité entière, de chérir d’autant plus ce qui nous lie à chaque personne, à la planète qui nous héberge. Elles sont toutes deux fragiles, limitées.
À lire dans la question en débat « Fécondité : un enjeu pour la planète »