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Ce samedi 18 février 2017, 350 personnes étaient réunies la clôture du colloque « Réduire les inégalités, une exigence écologique et sociale ». C’est une fanfare qui ouvre les débats : les associations voulant signifier par-là que la perspective d’une transformation écologique et sociale, pour être profonde et réussie, doit être joyeuse.
La règle est simple : tous les représentants des principaux candidats à la présidentielle ont 8 minutes chacun pour réagir au texte Repenser les inégalités face au défi écologique, signé par 15 associations rassemblées par la Revue Projet. Avant qu’un trio composé de Stéphanie Gallet (RCF), Philippe Frémeaux (Alternatives économiques /président de l'Institut Veblen) et Jean Merckaert (Revue Projet) ne les interrogent sur les propositions débattues lors des deux premiers jours de colloque.
Liêm Hoang Ngoc est en charge des questions économiques pour la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Il est aussi ancien député européen et conseiller régional d’Occitanie.
Jean-Luc Mélenchon m’a demandé vous présenter le programme économique de La France insoumise dont je suis responsable dans l’équipe de campagne. L’urgence sociale et l’urgence écologique sont au cœur de son programme. Le constat, tout le monde le connaît : 6 millions de chômeurs toutes catégories confondues, neuf millions de pauvres, des inégalités qui se sont creusées comme jamais, un réchauffement climatique inquiétant et malgré les accords des Cop, on peut craindre que cela ne s’arrange pas si des mesures d’urgence ne sont pas prises. Les changements intervenus au cours de trente dernières années dans notre monde économique ne sont pas étrangers à ce phénomène. Le principal d’entre eux, c’est la prise du pouvoir de ce qu’on appelle la finance dans l’économie. La finance, c’est l’anathème. Mais cette finance a un visage : les fonds de placement et les fonds de pension qui prolifèrent dans les entreprises cotées. C’est surtout, dans notre pays, le fait qu’on ait, au moment des privatisations, confié les rênes de nos entreprises stratégiques à des noyaux durs formés par des holding familiales (les 500 grandes familles en sont les parties prenantes) et que les banques, qui financent les activités économiques par le marché, aient pris des participations importantes dans ces mêmes noyaux durs. C’est la principale transformation du capitalisme français : ce n’est pas du tout devenu, contrairement à ce qu’on croit, un capitalisme libéral d’entrepreneurs en compétition qu’il faudrait stimuler ; c’est un capitalisme de rentiers. La rente, aujourd’hui, a des conséquences sur le partage du gâteau : elle cause la montée des inégalités et de la pauvreté. Le coût du capital a explosé. Quand 10 points de Pib se déplacent en faveur des profits et que, comme le montrent les études d’Alternatives économiques, 80 % des profits nets sont redistribués sous forme de dividendes, il y a un petit problème. Inversement, les salaires se tassent, on comprend que, dans ces conditions, l’économie a déjà commencé à décroître. Elle est structurellement décroissante, d’autant plus que les politiques européennes d’austérité l’ont menée au bord de la déflation. Et malgré cette décroissance, l’empreinte carbone augmente, les projets inutiles continuent de proliférer au détriment des projets utiles. C’est écologiquement irresponsable et socialement désastreux.
« Le capitalisme français n’est pas du tout devenu un capitalisme libéral d’entrepreneurs en compétition qu’il faudrait stimuler ; c’est un capitalisme de rentiers.»
Notre programme s’attaque évidemment à ces sujets. Nous l’articulons autour de trois grands thèmes : rediscuter de la construction et des textes européens pour sortir de l’austérité, engager – avec les ressources ainsi dégagées – la planification écologique et modifier la répartition des richesses. Très rapidement, sortir des traités européens, cela signifie dans un premier temps, que si le candidat de La France insoumise est élu, il ira voir la chancelière allemande, comme l’avait François Hollande en 2012, pour lui dire que le fonctionnement actuel de l’Europe nous mène tout droit dans le mur et que, si nous voulons faire autre chose que de la dévaluation interne et des politiques d’austérité, il faut revoir un certain nombre de textes. Pas seulement le traité budgétaire, mais aussi un ensemble de directives qui, dans le cadre du semestre européen, somme les États membres de la zone euro de respecter le tableau de bord ordo-libéral des politiques d’ajustement imposées à tous les pays de l’Union européenne.
« L’urgence est de faire décroître les projets inutiles et de faire croître les projets socialement utiles et écologiquement responsables. »
Dégager les ressources nécessaires, ce n’est pas pour faire du consumérisme ou pour relancer la croissance : l’urgence est de faire décroître les projets inutiles et de faire croître les projets socialement utiles et écologiquement responsables. La relance de l’économie que nous voulons pratiquer s’orientera avant tout vers la sortie du nucléaire et la mise en place d’un nouveau parc d’énergies renouvelables. Sur le court terme, nous souhaitons arriver à 100 % d’énergies renouvelables avec une planification écologique d’ici la fin du siècle. Et nous avons prévu d’engager, sur cinq ans, un plan d’investissement de 100 milliards (20 milliards par an). Planification parce que, bien que la fiscalité écologique et l’incitation à la modification des comportements soient nécessaires, les projets écologiques poussent comme des champignons sur les marchés. Le marché rencontre ses propres limites. Il faut donc une certaine dose de volontarisme si on veut engager cette transition écologique. Nous le ferons, notamment, en mettant en jeu les entreprises stratégiques du secteur de l’énergie et en réactivant une planification autour d’un Commissariat général à la planification écologique et des délégations départementales. Toutes les parties prenantes de la société civile seront mises dans le coup.
Sur la répartition des richesses et les questions sociales, nous pensons que l’engagement en faveur de la transition énergétique sera porteuse de 100 à 200 cent mille emplois sur le court terme, un million d’emplois à l’horizon de la fin du siècle, si nous arrivons à engager les 100 % de renouvelables.
Philippe Frémeaux – Que proposez-vous pour assurer la sécurisation des parcours professionnels ?
Liêm Hoang Ngoc – Vous faites allusion au volet sécurité sociale professionnelle abordé dans notre programme. Il consiste notamment à assurer un revenu aux salariés qui seraient victimes des transitions. La continuité du revenu, cela signifie que nous assurons, pendant deux ans, une allocation chômage dont l’ouverture des droits se ferait au premier jour et non plus à partir de quatre mois. Une démission donnerait droit à une indemnisation. Cela coûte trois milliards et dans le même temps, nous mettrons en œuvre le principe de l’État employeur en dernier ressort pour pouvoir assurer les transitions vers les activités qui seraient écologiquement utiles. Nous appellerons ça des « contrats coopératifs » qui seront la déclinaison des expériences territoires zéro chômeur2. Le coût s’élèverait à 20 000 euros par bénéficiaire. Quand on sait qu’un chômeur coûte, en moyenne, 15 000 euros, c’est largement faisable. Ces emplois coopératifs d’utilité publique, dans le cadre de la transition écologique, nous coûteront 6 milliards par an. Les dispositifs de formation existant seront étendus, mais l’idée est d’assurer la continuité des revenus, d’assurer des formations et des débouchés à ces formations, car aujourd’hui le dispositif 500 000 formations ne débouche sur rien. Le dispositif de l’État employeur en dernier ressort consiste également à créer des emplois avec des niveaux de qualification correspondant au niveau de formation des chômeurs qui les demandent.
« Le dispositif de l’État employeur en dernier ressort consiste également à créer des emplois avec des niveaux de qualification correspondant au niveau de formation des chômeurs qui les demandent.»
Stéphanie Gallet – Notre mode de consommation est aujourd’hui mortifère pour notre planète. Comment Jean-Luc Mélenchon compte-t-il agir pour transformer les modes de production et de consommation pour qu’ils soient plus respectueux et plus réalistes au regard de la pérennité de notre environnement ?
Liêm Hoang Ngoc – Il s’agit de favoriser les circuits courts. Cela passe par la mise en place d’un protectionnisme solidaire et par une mise en cohérence des différentes dimensions (locale, nationale et européenne). Au tout début de la construction européenne, l’Europe était largement autosuffisante. Nous sommes aux antipodes de ce que Sylvie Goulard a prôné tout à l’heure.
Stéphanie Gallet – Une loi a été votée en juillet 2015 pour interdire l’obsolescence programmée en-deçà de deux ans. Comment Jean-Luc Mélenchon compte-t-il agir pour encourager les entreprises à produire de façon plus durable ?
Liêm Hoang Ngoc – Il faudra, par la réglementation, imposer un certain nombre de normes.
Stéphanie Gallet – Et pour la restauration collective ?
Liêm Hoang Ngoc – Il conviendra de privilégier la commande de nourriture bio dans les cantines scolaires. Et pour cela, il faudra orienter les ressources de la politique agricole commune vers l’encouragement des agriculteurs à produire bio. Le principe de la conditionnalité des aides doit être développé et orienté vers les productions bios.
« La conditionnalité des aides doit être développée et orientée vers les productions bios. »
Jean Merckaert – Je voudrais revenir sur les inégalités de patrimoine parce que c’est un sujet extrêmement sensible politiquement. Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre3 montre que parmi les propriétaires, qui ne sont pas tous Français, les 20 % les plus modestes ont vu, au cours des quinze dernières années, leur patrimoine augmenter de 70 000 euros en moyenne, là où les 10 % les plus riches ont vu leur patrimoine augmenter de 700 000 euros, dans les deux cas sans travailler. Cela veut dire que ces personnes se sont enrichies davantage par la valorisation de leur patrimoine que par le travail. C’est la source d’une inégalité considérable. Si Jean-Luc Mélenchon est élu président, est-il prêt à corriger ces effets de richesse et donc à reprendre un peu à ceux qui ont gagné beaucoup par le seul effet du temps qui passe ? Et comment ?
« Nous imposerons, par la loi, une hiérarchie des revenus allant de 1 à 20 dans les entreprises. »
Liêm Hoang Ngoc – Vous me donnez l’occasion de répondre à de nombreuses questions qui ont été posées depuis le début de la matinée. D’abord, les inégalités salariales seront plafonnées puisque nous imposerons, par la loi, une hiérarchie des revenus allant de 1 à 20 dans les entreprises. Ensuite, nous ferons une révolution fiscale car en plus des augmentations de salaires que nous proposons, nous redistribuerons les richesses par la fiscalité qui est un instrument de correction des inégalités. Nous créerons un nouvel impôt sur le revenu assis sur une assiette très large, celle de la CSG sur laquelle nous créerons un barème à 14 tranches, ainsi l’impôt sera beaucoup plus juste. Nous maintiendrons une CSG qui sera progressive et affectera les ressources à la sécurité sociale et surtout, nous maintiendrons et améliorerons l’impôt sur la fortune. Cette mesure nous distingue et de Macron et de Fillon. L’ISF, contrairement à ce que racontent les libéraux et les conservateurs, est un impôt très intelligent, parce qu’il permet de taxer le stock (le patrimoine), alors que l’impôt sur le revenu est un impôt sur les flux de revenu. Or sans impôt sur le stock, à côté de l’impôt sur le revenu, le patrimoine gonflera sans arrêt. Même avec un barème à 14 tranches, les revenus des plus riches ne seront jamais suffisamment taxés. Il faut donc pouvoir les taxer sur leur patrimoine. Pour la partie de la population la plus pauvre, nous augmenterons le Smic de deux cents euros pour le porter à 1 326 euros net exactement. Nous amortirons le choc pour les PME en abaissant l’impôt sur les sociétés à 25 %, mais en augmentant l’impôt sur les bénéfices non réinvestis de trois points. On taxe ainsi les grandes entreprises cotées, mais on évite de taxer les PME qui créent des emplois. Enfin, nous sommes très pragmatiques, au-delà du débat sur le revenu universel, dont j’ai compris côté Hamon que ce ne serait pas autre chose qu’une revalorisation jusqu’à six cents euros du RSA, nous porterons les minimas sociaux à 1000 euros. Cela coûte 30 milliards en incluant les ayant-droits qui aujourd’hui ne peuvent pas bénéficier du RSA. C’est beaucoup plus réaliste que l’usine à gaz du revenu universel à 300 milliards.
Philippe Frémeaux – On laissera les partisans de Benoît Hamon vous répondre… Quelle articulation avec la réduction du temps de travail ?
Liêm Hoang Ngoc – Nous sommes de ceux qui pensent que le plein emploi est encore possible, parce que la transition écologique créera des centaines de milliers d’emplois et qu’on ne peut pas parler de fin du plein emploi tant qu’on ne travaillera pas tous deux heures par semaine. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas. La durée effective du travail à temps plein est de 40,5 heures, malgré les 35 heures. Ce qui veut dire, très concrètement, qu’aujourd’hui l’ajustement se fait par le chômage et par la hausse des profits puisque la productivité continue de croître, certes moins vite, mais à un rythme régulier. Ne pas poser la question de la réduction du temps de travail revient à prendre pour argent comptant le fait que les profits peuvent continuer à augmenter et que l’ajustement se fera par le chômage. Nous relancerons donc la dynamique de la réduction du temps de travail vers les 32 heures. Cette mesure, adjointe aux emplois créés par la transition écologique, permettra d’atteindre le plein emploi, un plein emploi qui permet d’étendre la protection des salariés par la création d’une sécurité sociale professionnelle intégrale. D’où notre proposition d’abroger la loi Travail pour un retour au CDI protégé par la hiérarchie des normes.
« Nous relancerons la dynamique de la réduction du temps de travail vers les 32 heures. »
Jean Merckaert – Je conclurai par une question bonus : mercredi soir est sorti un livre d’Alain Deneault intitulé De quoi Total est-elle la somme ?4. Il décrit assez précisément à quel point ce groupe pétrolier pose problème à l’environnement, à quel point il est facteur d’inégalités et peut constituer une menace pour la démocratie. Que fait Jean-Luc Mélenchon, président de la République, face à une entreprise comme Total et plus largement face au pouvoir des multinationales ?
Liêm Hoang Ngoc – Pour encourager la transition énergétique, il faut pouvoir accroître le poids de l’État dans les noyaux durs afin de peser sur les choix d’investissements qui doivent être pris dans toutes les entreprises du secteur de l’énergie. Cela veut dire que l’État reprend ses droits dans les entreprises stratégiques. Ensuite, s’agissant de Total, on constate que cette entreprise ne paie pas ses impôts en France parce qu’elle transfère ses bénéfices à l’étranger. Donc dans le cadre de notre plan A de renégociation des traités européens, nous demanderons une assiette commune et consolidée de l’impôt sur les sociétés et une harmonisation des taux, sinon on ne pourra pas taxer les profits de Total comme il faut. Si ce plan A ne fonctionne pas, nous aviserons.
Propos recueillis par Patrice Le Roué.
1 Le texte Repenser les inégalités face au défi écologique, cosigné par 15 associations en février 2017 est à lire sur Revue-Projet.com.
2 Les territoires zéro chômeur de longue durée ont été lancés par ATD-Quart monde et suivi par Emmaüs, le Pacte civique et le Secours catholique. Suite à plusieurs essais, la loi a enfin état votée en février 2016, permettant à 10 territoires d’être habilités à servir de lieux d’expérimentation en novembre 2016.
3 22e Rapport sur l’état du mal logement en France, 2017.
4 Alain Denault, De quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit, Rue de l’Échiquier, 2017.