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« L’empire de l’éphémère » : ainsi avez-vous décrit l’accélération du changement dans la mode et l’apparition incessante de nouveaux besoins. L’hyperconsommateur en est-il uniquement le produit ?
Gilles Lipovetsky - J’ai utilisé cette expression dans les années 1980, afin de désigner l’extension, depuis le milieu du XXe siècle, de la logique de la mode à l’ensemble de l’économie de la consommation, à travers le renouvellement accéléré des modèles. Dans le passé, les changements incessants de la mode ne concernaient que les élites sociales. Et le règne de la mode s’incarnait pour l’essentiel dans le vêtir. Ailleurs dominaient les temporalités lentes. Il n’en va plus ainsi, le capitalisme de consommation pouvant être défini comme le système dans lequel la production, la distribution et la communication sont commandées par la logique de la mode. Le changement, sa rapidité, sont en grande partie l’œuvre de l’économie de marché, dont la logique concurrentielle impose le renouvellement pour emporter des marchés. Ce capitalisme de consommation s’est développé dans le cadre d’une société démocratique, sur fond de sécularisation des sociétés. L’hyperconsommateur contemporain, obsédé de nouveautés, de marques, de voyages, de jouissances sensibles, est l’enfant de l’organisation mode de l’économie.
Le pape parle d’une « civilisation du déchet », pointant le gaspillage écologique mais aussi la mise au rebut de tout homme dont les compétences sont jugées obsolètes. La logique de l’hyperconsommation s’étend-elle au marché du travail ?
Gilles Lipovetsky - La société devient un marché, soumis à la loi de l’offre et de la demande, à des impératifs de rentabilité extrême, où l’homme devient en effet une variable d’ajustement. On le sait depuis Marx. Mais il n’y a pas de fatalité. Nous avons à trouver un modèle économique et une organisation qui, sans créer du « déchet », permettent des mouvements dans le monde du travail, de la mobilité, du recyclage, de la formation permanente. Des sociétés réussissent mieux que d’autres (regardez le taux de chômage en Suisse, en Autriche ou en Allemagne) : nous devrions nous en inspirer. Lorsqu’un chef d’entreprise se sépare de certains salariés, ce n’est pas seulement pour gagner plus d’argent, c’est aussi parce qu’il est soumis à des contraintes de marché. Cette dynamique est inévitable, mais il faut faire en sorte que celui qui a perdu son travail puisse facilement en trouver un autre. Nous avons à inventer une flexibilité humaine, de nouvelles formes de solidarité qui ne tournent pas le dos à la réalité de la mondialisation.
À quelles aspirations profondes répond le consumérisme ?
Gilles Lipovetsky - On est dans une société d’hyperconsommation lorsque la consommation des ménages constitue le vecteur essentiel de la croissance : aux États-Unis, 70 % du produit intérieur brut en dépend. Ce n’était pas le cas dans la première modernité industrielle, où les gros investissements (les machines-outils, les ports, les chemins de fer, les barrages, etc.) représentaient les vecteurs lourds de l’économie. À l’âge de l’hyperconsommation, ce ne sont plus simplement les familles qui s’équipent en biens de consommation, mais les individus : chacun a sa télévision, son ordinateur, son smartphone. En ce sens, l’hyperconsommation est un vecteur d’hyperindividualisme : avec le pluri-équipement des ménages, les pratiques de consommation se désynchronisent, se personnalisent, se démassifient. Partout gagne la vie à la carte. Ces pratiques individualisées ne correspondent pas à la logique de distinction dont parle Pierre Bourdieu. Elles ne visent pas la reconnaissance ou l’estime sociale. Elles sont de plus en plus de l’ordre de l’intime, de l’expérience personnelle, émotionnelle, centrées sur la quête des jouissances et des plaisirs personnels. Quand vous partez en Polynésie ou ailleurs, ce n’est pas pour afficher votre standing, mais pour découvrir de nouveaux horizons, ressentir des choses, voir le monde. L’hyperconsommateur est d’abord attentif à son vécu, à des émotions qu’il veut sans cesse renouveler, il est animé par une logique hédoniste.
« L’hyperconsommateur est d’abord attentif à son vécu, à des émotions qu’il veut sans cesse renouveler, il est animé par une logique hédoniste. »
Cela dit, la logique statutaire de la consommation, centrée sur l’exhibition ostentatoire de la fortune et de la réussite sociale, reste forte dans d’autres contextes, notamment dans les économies émergentes. Même dans nos contrées, la logique des signes démonstratifs demeure au travers de ce qu’on appelle le « bling bling » ou le « show off ». Et la contrefaçon des produits de luxe est devenue une industrie considérable. L’hyperindividualisation semble certes contredite par le conformisme tribal des adolescents accros aux marques. Mais cela s’érode par la suite. C’est ainsi que les deux logiques (statutaire et émotionnelle) cohabitent. À Beverly Hills, vous trouvez des villas somptueuses avec des voitures de dix mètres de long, mais leurs propriétaires veulent manger bio, s’adonner à des activités qui leur procurent une jouissance personnelle. Cependant, la logique honorifique de la consommation recule dans nos sociétés au bénéfice d’une logique plus autocentrée, subjective et émotionnelle.
Vous parlez d’un « individualisme irresponsable »…
Gilles Lipovetsky - L’expression renvoie à l’individu attentif à lui seul, qui ne considère que son intérêt au détriment de celui des autres : « mes droits », seulement mes droits, sans devoir vis-à-vis des autres. Bref, un individualisme construit autour du principe : « Après moi, le déluge. » Mais le principe individualiste du gouvernement de soi n’exclut pas nécessairement la prise en compte du droit des autres : tel est l’individualisme responsable. Ainsi y a-t-il deux types d’individualisme : irresponsable et responsable. À présent, le grand paradoxe est que plus les valeurs sont individualistes, plus il y a de bénévoles et d’associations. On peut considérer leur rôle comme insuffisant, mais il l’était déjà auparavant. L’individualisme ne peut être réduit à l’égoïsme et à la négation des valeurs éthiques. Pour combattre sa face irresponsable, les prêchi-prêcha ne suffiront pas : nous devons développer l’exercice de la responsabilité individuelle par la formation, par de nouveaux modes de gestion dans l’entreprise, par de nouvelles formes de solidarité.
Vous utilisez peu le mot « consumation », qui induit l’idée d’une destruction par la consommation.
Gilles Lipovetsky - Ce concept, utilisé notamment par Georges Bataille, renvoie au modèle agonistique1 du potlatch, aux fêtes et aux cultures religieuses du sacrifice. La dimension du symbolique prime. Il n’en va plus de même dans les sociétés post sacrificielles, techno-marchandes, dominées par la rationalité instrumentale, la compétition économique, la recherche du profit. Les richesses ne sont plus dilapidées à des fins symboliques : le monde est exploité de manière technicienne et marchande. Nous n’avons plus de société de consumation créatrice d’un ordre symbolique et cosmique, mais des sociétés de destruction de l’environnement naturel. Avec des enjeux considérables : de nombreuses études montrent que l’on ne pourra pas tous vivre comme les Américains lorsqu’il y aura 10 milliards d’individus sur la planète. Cela en raison de la raréfaction des matières premières, de l’impact négatif de la consommation sur l’écosystème. La consumation glorieuse des richesses n’est plus l’un des principes de nos économies de marché, mais cette perte de noblesse ne doit pas occulter les éléments positifs des économies consuméristes : le fait de vivre plus longtemps et en bonne santé, par exemple. Ce n’est pas rien. L’internet et ses technologies peuvent certes avoir des effets pervers, mais l’accès à l’information est aussi un outil d’ouverture sur le monde. Je suis conscient des difficultés et des impasses que sécrète l’hyperconsommation, mais sa diabolisation est un réflexe de bobo. Je m’oppose aux analyses qui font du consumérisme une forme de barbarie douce.
« La consommation est une manière d’alléger le poids du présent, de se vider la tête dans une société de pression excessive. »
L’hyperconsommateur est-il au centre de la « civilisation de la légèreté » ?
Gilles Lipovetsky - Il en est une figure : tout l’univers du consumérisme est associé à la légèreté. Les gadgets, le « fun », les smartphones, les jeux, les parcs de loisirs, les vacances, le zapping : c’est là un univers d’hédonisme, de frivolité, de divertissement, aux antipodes du lourd. La publicité, avec ses spots plus ou moins insignifiants, ne fait que visualiser cette légèreté heureuse.
La consommation est fréquemment une manière d’alléger le poids du présent, de se vider la tête dans une société de pression excessive : autrefois, on allait à la messe, aujourd’hui, on part en vacances ou on fait du shopping. Mais ce consumérisme peut aussi être très lourd. Avec la crise, la hausse de la précarité et l’augmentation des besoins, le budget de nombreux ménages est devenu difficile à boucler. Les dépenses fixes (chauffage, logement) demeurent et le côté fun de la consommation recule. On trouve là une des raisons du succès de l’économie collaborative : on cherche des moyens plus économiques pour continuer à voyager et à consommer. C’est d’ailleurs devenu un travail : par manque de budget, on passe son temps à comparer les prix.
La légèreté consumériste s’accompagne aussi d’une obsession narcissique du corps extraordinairement stressante. En témoignent l’essor de la chirurgie esthétique, la peur de prendre du poids, la tyrannie de la minceur et du corps jeune. Un certain nombre d’Américaines considèrent à présent que la chose la plus importante au monde est de perdre quelques kilos ! C’est affligeant et triste.
Depuis les années 1970, divers courants considèrent le matérialisme consommatoire comme une impasse et cherchent d’autres voies. Ce sont les nouveaux mouvements religieux, les écologistes radicaux, les apôtres de la simplicité volontaire. On observe un engouement pour les sagesses orientales, les retraites, la recherche de voies pour échapper aux pesanteurs du matérialisme. Je comprends cette position, certainement juste dans le fond. Mais n’allons pas croire que ces comportements pourront détrôner la civilisation du bien-être matériel. La frugalité heureuse, l’ascétisme, ne peuvent valoir que pour une minorité de personnes particulièrement engagées idéologiquement, qui ont déjà goûté à tout cela et peuvent s’en distancier. La réduction volontaire des besoins n’est pas une solution crédible pour les 10 milliards d’individus qui s’annoncent sur la planète.
Que faire alors ?
Gilles Lipovetsky - Face aux problèmes gigantesques qui s’annoncent, il est impératif d’investir plus que jamais dans la recherche scientifique et l’innovation technique, afin de trouver des instruments capables de concilier progrès économique et développement soutenable. Nous devons, non pas casser la dynamique de la croissance, mais l’accélérer. Hors de cette perspective, on est dans le rêve et l’illusion… Du coup, le défi qui est le nôtre est de concilier logique d’accélération technoscientifique (synonyme de progrès matériel) et logique de décélération (synonyme de qualité de vie), mais aussi développement durable et développement humain : ce doit être notre idéal pour le XXIe siècle. Ce défi est herculéen.
Les quêtes spirituelle et l’engagement éthique ont toute leur place, mais ils ne peuvent être la solution aux problèmes économiques et écologiques de ce monde sécularisé, où les hommes veulent vivre heureux ici-bas, avec de plus en plus de bien-être matériel et des nouveautés perpétuelles leur apportant un divertissement « facile » et léger.
Le bonheur que nous cherchons ici-bas, vous le qualifiez de « bonheur paradoxal » dès lors qu’il est guidé par la seule satisfaction de nos propres désirs. Qu’est-ce qui empêche ce bonheur d’être total ?
Gilles Lipovetsky - L’homme est en quête de félicité, mais il ne peut accéder qu’à des moments fugitifs de bonheur. Et plus le bonheur est dans nos attentes, plus il semble s’éloigner de nous. Beaucoup de théoriciens ont relié cette panne de la vie heureuse au déchaînement du consumérisme. Nous voulons toujours autre chose et toujours plus. Comme le tonneau des Danaïdes, qui se vide au fur et à mesure qu’on le remplit. Nous sommes ainsi voués à une frustration insurmontable. Cette théorie comporte une part de vérité, mais elle grossit exagérément l’aspect dramatique de la consommation. Quand vous achetez votre première voiture, ce n’est certes pas une BMW, mais vous êtes quand même heureux : c’est votre première « bagnole » ! Le vrai drame est ailleurs : il se trouve dans le rapport problématique aux autres et à soi. Rousseau l’a bien montré : si l’être humain ne peut accéder à un bonheur constant, c’est parce que c’est un être de relations, ce qui le rend dépendant des autres pour le meilleur (l’amour, l’amitié, l’entraide) et pour le pire (les déceptions, les incompréhensions, les conflits, les haines). On est inévitablement à la merci d’autrui. À présent, la vie privée est de plus en plus chaotique et blessée, livrée qu’elle est à l’essor des problèmes de communication interpersonnelle, au divorce, à la séparation des couples. De surcroît, il y a énormément de problèmes dans le rapport au travail, qui nous définit plus profondément que notre vie de consommateur. Notre société connaît une forte anxiété liée au taux de chômage, surtout chez les jeunes et les seniors. Vous vous demandez sans cesse : qu’est-ce que je vaux ? Qu’est-ce que je suis ? Nos déceptions et insatisfactions profondes trouvent leurs racines bien au-delà de la sphère consumériste.
En quoi ce bonheur est-il « paradoxal » ?
Gilles Lipovetsky - Nos sociétés ne cessent de voir leur niveau de vie global augmenter. L’espérance et la qualité de vie sont à la hausse. On célèbre les plaisirs, le bonheur et les loisirs à tous les coins de rue, sans se rendre coupable. Toute notre civilisation est tendue vers le progrès techno-marchand pour nous rendre plus heureux. Or, au final, nous ne le sommes pas. On consomme trois fois plus d’énergie que dans les années 1960, le niveau de vie a été multiplié par deux depuis les années 1970, mais le bonheur n’a pas cru dans les mêmes proportions. On est plutôt dans le souci permanent, à en juger par le niveau de consommation de psychotropes, les niveaux de stress, d’anxiété, de dépression, les tentatives de suicide. Au plus profond, cela tient à la sécularisation du monde ainsi qu’à la dynamique d’individualisation entraînée par les médias de masse et la spirale consumériste. Longtemps, l’Église et les traditions donnaient des réponses « définitives » à la vie. Nous sommes à cet égard dans un vide : la société hyperindividualiste se déploie dans un univers ouvert, détraditionnalisé, et c’est à chacun de trouver ses réponses, de « manager » sa vie. C’est inévitablement lourd, difficile. Que manger ? Comment élever son enfant ? Regardez dans les librairies aujourd’hui : on trouve des rayons entiers sur la parentalité ! Il y a peu de temps encore, les parents ne se posaient même pas la question. Ce qui organisait l’ordre social « du dehors » et impérativement ne le règle plus. Tout est devenu problématique, incertain. Avec la religiosité à la carte, même les croyants sont livrés à l’interrogation individualiste. Plus aucune sphère de la vie sociale n’échappe à la réflexivité, et celle-ci entraîne nécessairement la désorientation ou des doutes. C’est pourquoi le bonheur paradoxal qui marque notre époque n’est pas près de disparaître.
Que pensez-vous des mots du pape François : « Plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à posséder et à consommer2 » ?
Gilles Lipovetsky - Le cœur n’est pas seul en cause. On ne consomme pas uniquement parce qu’il y a un manque d’altruisme, de charité et de religion. La fuite en avant consumériste est indéniablement en rapport avec un vide, mais celui-ci n’est pas uniquement d’ordre spirituel. Consommer est une manière d’oublier vos problèmes avec vos enfants, votre conjoint(e), votre travail, etc. Il faut des soupapes qui permettent aux hommes d’alléger le poids de l’existence. On s’achète des moments de plaisir, des moments à soi qui viennent compenser nos diverses frustrations et insatisfactions. Le pape exprime l’idée que seul l’amour d’autrui permet de remplir le vide et de réduire l’obsession consumériste. Mais d’autres motivations et passions peuvent avoir ce même effet. Si vous êtes passionné par l’escalade, la peinture, la musique, l’écriture, vous y passez tout votre temps libre et le shopping vous ennuie ! Le coupable n’est pas le seul oubli de l’autre, mais une société qui oriente trop les passions vers la consommation marchande. Cette hypertrophie consumériste est un appauvrissement de l’existence. Notre responsabilité est de donner aux jeunes les outils qui leur permettent d’avoir des buts « supérieurs », dans lesquels ils croient et qui sont capables de mobiliser leurs passions. Nous devons développer une pédagogie des passions actives, créatives, riches, permettant de désirer autre chose que de posséder des objets de marque et d’en changer tous les trois mois. C’est la grande voie d’avenir pour faire reculer la tentation consumériste.
« Le coupable n’est pas le seul oubli de l’autre, mais une société qui oriente trop les passions vers la consommation marchande. »
L’absence de but, de passion, permet-il d’expliquer un certain rejet de notre société, qui peut aller jusqu’à se trouver un but de substitution comme le djihad ?
Gilles Lipovetsky - La société d’hyperconsommation pulvérise les modes d’identification traditionnels au bénéfice de l’individu comme opérateur intégral de son existence. L’identité n’est plus une évidence sociale, elle est à construire par chacun, avec pour résultat, une insécurité individuelle plus ou moins forte. Le plus grand nombre cherche à s’y adapter par le travail et le consumérisme, mais d’autres recherchent des voies extrêmes (violence, djihad, martyr) qui les valorisent, les héroïsent, les sortent de leur autodépréciation. Comment contrecarrer cette menace ? Personne n’est contre une « éducation civique républicaine », mais il faut être singulièrement naïf pour croire que des cours de respect de l’être humain vont détourner les jeunes de ce type d’engagement3. Nous avons à imaginer des pédagogies de la passion qui donnent le goût de « faire des choses », de trouver des activités, autres que strictement scolaires, dans lesquelles on peut gagner l’estime de soi. Il faut réussir à donner le goût de « faire ». Nous devons mobiliser les villes, les parents, les mouvements religieux, pour aider les gens à avoir, même dans une vie difficile, des activités créatives et sociales qui donnent des satisfactions profondes, personnelles.
Le franchissement des limites environnementales est quand même très lié à la consommation…
Gilles Lipovetsky - Depuis le Club de Rome, on nous dit que la Terre est menacée d’épuisement par excès de consommation et d’exploitation de ses ressources. Mais existe-t-il vraiment une contradiction absolue entre la logique infinie du progrès et les ressources limitées de notre globe ? C’est sous-estimer l’intelligence humaine, capable de rendre possible « l’impossible ». Il y a certes des limites planétaires, mais il est possible de fabriquer de nouveaux matériaux, de développer de nouvelles énergies, d’inventer de nouveaux usages pour que la planète supporte le poids de notre consommation. Où se trouve réellement la limite à l’hyperconsommation ? Oui, il va falloir inventer une économie moins carbonée, plus économe en ressources naturelles. Mais quelles sont les limites à la consommation de services et à la consommation culturelle ? À cet égard, l’hyperconsommation est loin d’être à la veille de sa disparition.
Pour freiner cette course en avant, vous dites que moraliser n’est pas la réponse. Des politiques tentent de freiner le consumérisme, notamment du côté de l’offre. Vous habitez à Grenoble où l’on a supprimé les panneaux publicitaires…
Gilles Lipovetsky - Voilà typiquement une mesure démagogique. Elle a réduit d’un million d’euros les rentrées publicitaires pour la collectivité, sans aucun effet sur l’attrait suscité par la consommation, les magasins autour regorgeant de marques et de publicité ! Cet argent perdu aurait été beaucoup plus utile dans les quartiers défavorisés, pour donner des cours à des enfants en difficulté scolaire ou des aides à ceux qui veulent créer et innover. La loi est certes nécessaire pour réguler la publicité, mais ce n’est pas en l’éliminant des murs de la ville qu’on freinera la spirale consumériste. La passion consumériste n’est pas le résultat mécanique du monde de la pub. Soyons moins idéologues et plus imaginatifs si l’on veut inventer un monde moins accro aux marques.
Propos recueillis par Marie Drique et Jean Merckaert, le 17 mai 2016.
1 Qui se déroule au moyen d’une lutte [NDLR].
2 Laudato si’, 2015, paragraphe 204.
3 Sur ce point, cf. Revue Projet, n° 352 : « L’école, laboratoire de fraternité ? », notamment les articles de Denis Meuret et François Dubet [NDLR].