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« Nul ! » Petit mot, gros dégâts. Mot terrible qui, lorsqu’il est prononcé, résonne dans la tête du jeune comme un coup dévastateur, à un âge où la confiance en soi peine à se construire.
« - Et si c’était vrai ?
- Mais non, tu as de l’excellence en toi. Il t’appartient de la faire jaillir pour mieux t’en servir et réussir ta vie.
- C’est bien la première fois qu’on parle de moi en termes d’excellence ! »
Dialogue terrifiant mais ô combien révélateur d’une école qui, depuis des générations, sanctionne les erreurs plus qu’elle n’encourage à ne pas en faire… « L’ADN de nos écoles, c’est la fraternité », avance-t-on ? Encore faut-il de la bienveillance ! Quel est donc le rôle de l’éducateur dans l’école de la fraternité ?
L’éducateur y part du principe qu’il y a de l’excellence et du « 20 sur 20 » chez chaque jeune et que la meilleure façon de le faire grandir, c’est de tenir coûte que coûte à ce « préalable de la confiance ». Et c’est bien cette conviction qui va induire les démarches pédagogiques et éducatives mises en œuvre pour l’aider à progresser. Aujourd’hui encore, il suffit de lire les bulletins scolaires de nos enfants : certes, les appréciations vexatoires ont disparu et c’est tant mieux. Mais combien de fois trouvons-nous encore des phrases du genre : « Peut mieux faire » ? Et que fait-on pour qu’il ou elle fasse effectivement mieux ? Passer du constat à une analyse précise des difficultés pour construire avec le jeune une vraie stratégie de réussite, ça marche ! Pas à tous les coups, sans doute, et il faut parfois recommencer, encore et toujours, mais la construction d’un jeune est à ce prix.
Tous les parents rencontrés ont les mêmes mots pour qualifier leur espoir : « Quand aura-t-il le déclic ? » Chaque jeune est unique, y compris dans ses modes d’apprentissage, et aucune règle scientifique ne permet d’évaluer ni l’âge ni le moment de ce fameux déclic. C’est bien l’humilité de l’éducateur que de le reconnaître et d’accepter que la meilleure façon de le déclencher, c’est d’y croire, envers et contre tout. Quelle joie de constater les progrès d’un élève qui se met à réussir, tout simplement parce qu’il s’est approprié le sens de ce qu’il apprend : « J’ai compris à quoi ça sert d’apprendre et je sais désormais pourquoi je travaille. »
Chaque adulte dispose d’un capital d’émerveillement : tout enfant est éducable, certains n’ayant que l’école pour apprendre ce qui leur sera indispensable pour mener leur vie d’adultes. Il ne s’agit évidemment pas de nier les difficultés d’apprentissage ou de comportement d’un élève, encore moins d’imaginer que tout serait facile. Mais pourquoi ne pas porter un regard différent sur le jeune ? Notre système scolaire est complexe, et il propose des voies de formation différentes en fonction des profils d’apprentissage des jeunes : quelle chance ! Encore faut-il la saisir, en privilégiant une orientation active et positive, basée sur ce que le jeune sait et aime faire plutôt que sur ses résultats. Conseiller la voie professionnelle à un jeune à partir de ses goûts et de ses domaines de compétence (il en a forcément), n’est-ce pas plus valorisant que de l’orienter par défaut (« il ne peut rien faire d’autre ») ?
Dans l’école de la fraternité, les élèves apprennent mieux car les enseignants sortent de leur isolement. Ils mettent en commun leurs expériences pour développer et mettre au service de tous le capital professionnel existant. Cela demande une autre gestion du temps, des énergies personnelles, du matériel, de l’espace, une nouvelle vision du métier… C’est bien cette nouvelle vision qui est source de fraternité : regarder, accompagner chaque jeune comme s’il était son propre frère, dans une volonté constante et obstinée de le faire grandir.
André-Pierre Gauthier et Jean-Marie Petitclerc (table-ronde), « L’adulte est un frère au milieu des jeunes », Revue Projet, n°352, juin 2016.