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Depuis quelques années, l’attention s’est portée sur le harcèlement à l’école, un phénomène particulièrement dévastateur pour les élèves qui le subissent. Si, au niveau européen, l’opinion publique et la communauté scientifique étaient mobilisées depuis les années 1970, la sensibilisation à ce type de violence aura été beaucoup plus longue en France. Le phénomène concerne pourtant près d’un élève sur dix. Il touche aussi tous types d’établissements, ce qui n’est pas le cas si l’on analyse plus largement la violence à l’école. Sans augmenter en moyenne1, celle-ci témoigne d’un écart grandissant entre les établissements ordinaires et ceux qui accueillent des publics cumulant difficultés scolaires, sociales et économiques. Avant d’appréhender les réponses à la violence à l’école, et notamment le rôle conféré aux élèves pour améliorer le climat scolaire, nous reviendrons sur l’évolution de l’approche publique et scientifique de la violence à l’école et sur les nouvelles formes d’expression des conflits entre jeunes à l’heure des nouveaux moyens de communication.
Depuis les premiers travaux sur la violence à l’école, l’appréhension du phénomène a connu de nombreuses variations : réaction à la violence symbolique d’un système reproduisant le tri social opéré dans la société, importation des violences des quartiers dans l’école, « effet établissement »2, dont la culture, l’ethos ou le climat peuvent favoriser l’émergence de comportements violents ou d’opposition. Dans la lignée de ces derniers travaux (fin des années 1990)3, l’intérêt s’est éveillé quant au rôle de l’établissement. L’institution scolaire elle-même mène des recensements4, via les chefs d’établissements et réalise, depuis 2011, une enquête nationale de victimation à partir de l’enquête climat scolaire dans les collèges et les lycées. Ces travaux montrent un lien certain entre le climat scolaire et la victimation : pour réduire les violences à l’école, il est indispensable d’améliorer le climat dans l’école.
Pour réduire les violences à l’école, il est indispensable d’améliorer le climat dans l’école.
Malgré la récente focalisation sur le harcèlement entre pairs, l’attention à la question du climat scolaire, émanation directe de l’effet établissement, demeure. Elle va même grandissant, alimentée par les travaux sur le décrochage scolaire et par les injonctions politiques visant à le réduire au moyen d’un environnement d’apprentissage positif. Aussi le climat scolaire se trouve-t-il au cœur de la prévention de divers enjeux éducatifs : violence, harcèlement, décrochage, absentéisme, réussite scolaire et réduction de l’impact du milieu social dans lequel évoluent les élèves.
Au niveau national comme dans les grandes enquêtes internationales5, on constate cependant un intérêt croissant pour le bien-être à l’école, qui serait particulièrement affecté lors de la transition école/collège. Ainsi, nous oscillons entre une approche collective et sociologique – celle du climat scolaire – et une approche individualisée et plus psychologique, basée sur la perception du bien-être des individus6. Cette diversité de perspectives met en évidence la complexité et le caractère multidimensionnel de la violence à l’école, qui ne peut être abordée de manière univoque. Enfin, de nouvelles formes d’expression de la violence émergent avec l’utilisation grandissante des moyens électroniques de communication et le développement d’internet et des médias sociaux. Ceux-ci, même s’ils débordent les locaux des établissements scolaires, ont une influence certaine sur la perception du climat scolaire.
Contrairement à ce que pensent encore bien des équipes éducatives, la cyberviolence n’est pas déconnectée de la violence dans la vie ordinaire. L’un des principaux objectifs des jeunes, dans la vie quotidienne ou sur les réseaux sociaux, est d’être populaire. Au collège ou au lycée, cette popularité se gagne aussi et, de plus en plus, par le niveau de reconnaissance des pairs dans le cyberespace. La porosité est forte entre ce qui se passe en ligne et la vie dans les établissements scolaires. Les victimes en ligne sont souvent victimes à l’école et le risque d’être victime sur internet est plus grand lorsque l’on est victime en milieu scolaire. Ce lien est aussi vérifié pour les agresseurs. Et la tendance s’accentue lorsqu’il s’agit de cyberharcèlement.
Les victimes en ligne sont souvent victimes à l’école et le risque d’être victime sur internet est plus grand lorsque l’on est victime en milieu scolaire.
Les études sur les conséquences de la cyberviolence sur les jeunes indiquent que les victimes, tout comme pour le harcèlement ordinaire, ont des difficultés de concentration et que leurs résultats scolaires sont affectés. Leur opinion de l’établissement scolaire est significativement moins bonne que chez les autres élèves. Les dimensions du climat scolaire7 les plus touchées sont la qualité des relations entre élèves, la perception de la qualité des apprentissages et le sentiment de sécurité dans et aux abords de l’établissement – au point que les victimes, notamment celles de violences répétées, s’absentent. La cyberviolence a un impact négatif sur le sentiment de bien-être dans la classe et dans l’établissement, au collège ou au lycée.
Il est indispensable de la prendre en compte dans les démarches de prévention de la violence8. Le ministère de l’Éducation a certes publié un « Guide de prévention de la cyberviolence entre élèves » à destination des personnels, mais un certain nombre d’enseignants ont encore tendance à penser que le problème ne relève pas de leurs compétences. Souvent, ils ne se sentent pas armés pour prévenir ou arrêter le phénomène, un sentiment qui s’explique parfois par un manque de connaissances techniques des outils informatiques et de la communication dans le cyberespace. En ce domaine, la France fait partie des cinq derniers pays (sur 25) en termes de médiation active9 des enseignants10. La moitié des élèves seulement disent qu’on leur a expliqué pourquoi certains sites peuvent être dangereux ou au contraire présenter un intérêt, contre 58 % en moyenne en Europe. Moins d’un jeune sur dix déclare qu’on lui a expliqué comment utiliser internet en toute sécurité et à peine un tiers affirme avoir été conseillé sur la façon de se comporter envers les autres en ligne. Ne serait-il pas important d’améliorer ces aspects, tout en impliquant davantage les élèves, afin de renforcer la confiance avec les adultes ? Cette réponse irait dans le sens des impulsions politiques en termes d’investissement actif des élèves dans la prévention de la violence et pour l’amélioration du bien-être à l’école qui émergent aujourd’hui au collège.
Les protagonistes de la violence à l’école sont, bien sûr, d’abord les victimes et les agresseurs11. Mais une grande partie de la communauté des élèves peut être impliquée en tant que témoins et cette implication est susceptible d’affecter significativement le climat d’établissement. À cet égard, si la formation des cadres et des personnels des établissements12 est indispensable, il est essentiel de ne pas se priver de la connaissance et du regard des élèves. L’institution l’a d’ailleurs bien compris, comme en témoignent les orientations nationales concernant l’éducation aux comportements responsables13. Une charte sur la médiation par les pairs a été publiée sur Éduscol : l’objectif est d’amener les élèves à gérer les conflits entre eux. Il ne s’agit pas de demander aux jeunes de se substituer aux adultes, mais de développer chez les médiateurs et les élèves en général des compétences sociales leur permettant de faire preuve d’empathie et d’écoute, d’apprendre à communiquer et à argumenter de façon constructive. La mise en place des « conseils de vie collégienne » (dans la lignée des « conseils des délégués pour la vie lycéenne ») s’inscrit dans cette perspective de responsabilisation des élèves. Ces conseils leur donnent la parole afin d’améliorer les relations adultes/élèves dans les établissements scolaires et de mieux comprendre leurs attentes quant aux conditions de vie à l’école. L’enjeu est d’engager les élèves dans une réflexion sur le fonctionnement de l’établissement et de développer un sentiment d’appartenance basé sur la prise en compte de leur parole et de leur implication citoyenne. L’élève devient acteur du changement. Notre propre expérience dans l’organisation de comités d’élèves, précurseurs de ces conseils, nous montre comment les élèves sont créatifs et s’avèrent, la plupart du temps, réalistes et tout à fait capables de propositions construites. Ainsi, dans un collège, proposent-ils de créer des groupes d’écoute d’élèves pour aider à régler leurs conflits. Dans un autre établissement, le comité « climat scolaire » suggère un aménagement de l’accueil alternatif à la permanence pour les élèves dont les enseignants sont absents à 8 h, afin d’éviter qu’ils sortent de l’établissement et traînent dans la rue. Ailleurs, ils suggèrent un aménagement de la cour de récréation pour le temps de la pause méridienne ; ainsi, ceux qui veulent jouer au ballon pourront le faire sans gêner les autres et l’on évitera des conflits. De bien des manières, les élèves ont l’opportunité de montrer qu’ils sont capables de contribuer à la vie de l’établissement de façon constructive et responsable et d’améliorer la vie collective dans une démarche de projets.
L’efficacité de toute intervention dépend d’une démarche collective et globale et ne peut reposer sur la seule implication des élèves.
Il faut cependant attirer l’attention sur plusieurs éléments susceptibles de perturber les processus et les résultats envisagés. Tout d’abord, quelle que soit la démarche, si celle-ci n’a pas emporté l’adhésion de l’équipe éducative, le risque est grand que les résultats escomptés ne soient jamais atteints et que cela génère plus de difficultés au sein de l’équipe que d’améliorations. Pour les actions de médiation entre élèves, en particulier, l’évaluation montre que l’effet est surtout notable chez les élèves impliqués comme médiateurs et qu’il dépend largement de la politique globale de l’établissement en faveur d’un climat scolaire positif. L’efficacité de toute intervention dépend d’une démarche collective et globale et ne peut reposer sur la seule implication des élèves. Nos enquêtes à l’Observatoire international de la violence à l’école ne laissent aucun doute : quand les élèves s’estiment insatisfaits de la qualité des relations avec les adultes, c’est parce qu’ils ne se sentent pas écoutés et par conséquent pas respectés en tant qu’individus. Leur donner la parole contribue à les responsabiliser, à renforcer leur estime de soi, leur sentiment d’appartenance et le sentiment d’être respecté par les adultes. Cependant, que ce soit dans le cadre de comités d’élèves ou des conseils à la vie collégienne, le piège serait d’impliquer à nouveau les délégués de classe, voire les délégués des délégués, dans une double confiscation de la parole par quelques-uns. Ces derniers, rompus au discours des adultes, à leurs éléments de langage, risqueraient de ne faire que reproduire la norme ! L’expérience montre que cela est peu productif et ne contribue qu’à valoriser ceux qui le sont déjà. Or la démarche est bien celle d’empowerment, processus qui vise à donner aux élèves plus de capacités d’action et d’influence sur leurs conditions de vie à l’école. Il s’agit bien de les amener à développer leur potentiel citoyen : cela passe non seulement par l’écoute mais par la prise en compte de leurs suggestions ou propositions. C’est en ce sens que les équipes devront travailler sur leur posture d’adultes émancipateurs, pour la promotion d’interactions sociales constructives, pour favoriser un climat scolaire basé sur le respect et la considération de la parole de chacun.
1 Selon les données collectées par le ministère de l’Éducation nationale comme par l’Observatoire international de la violence à l’école.
2 L’« effet établissement » désigne la capacité des établissements à agir sur les phénomènes et les situations qu’ils rencontrent : les résultats des élèves ou le climat scolaire pourront être différents d’une école à l’autre malgré des contextes et des types de publics similaires.
3 Sous l’impulsion des travaux d’Éric Debarbieux : La violence en milieu scolaire, tome II : Le désordre des choses, ESF éditeur, 1999.
4 Signa (Signalement des actes de violence) relayé par Sivis (Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire) depuis 2007.
5 Telles que Pisa (Program for international student assessment) ou HBSC (Health behaviour in school-aged children survey) et Talis (Teaching and learning international survey).
6 En témoigne la parution du n°88-89 de la revue Éducation et formations, sur le thème : « Climat scolaire et bien-être » (décembre 2015, coordination éditoriale : Fabrice Murat et Caroline Simonis-Sueur).
7 Le climat scolaire est une construction sociologique qui est à la fois à l’origine des comportements des individus, mais aussi le fruit de la perception personnelle et collective de l’environnement éducatif.
8 C. Blaya, « Étude du lien entre cyberviolence et climat scolaire : enquête auprès des collégiens d’Île-de-France », Les dossiers des sciences de l’éducation, n°33, 2015, pp. 131-155.
9 Par opposition à médiation restrictive, qui pose des interdictions.
10 Selon l’enquête européenne « EU Kids online » : C. Blaya et Seraphin Alava, « Risques et sécurité des enfants sur internet : rapport pour la France », 2012.
11 Christina Salmivalli, « Utiliser la force des groupes de pairs pour prévenir les comportements brutaux (Finlande) » dans Bonnes pratiques de résolution non-violente de conflits en milieu scolaire. Quelques exemples, Unesco, 2002, pp. 41-44.
12 Amorcée par la Délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre la violence à l’école.
13 Bulletin officiel de l’Éducation nationale, n° 15, 11/04/2013.